Depuis l'arrêt Canal de Craponne du 6 mars 1876, le juge maintient le principe d'intangibilité des conventions. Ainsi, il refuse de procéder à la révision des contrats à exécution successive, et ce malgré un changement de circonstances entraînant un déséquilibre économique entre les parties. Toutefois, il s'avère que ce rejet de la révision judiciaire a été, à plusieurs reprises, tempéré par la jurisprudence ; l'arrêt du 16 mars 2004 vient apporter sa pierre à l'édifice en ce qu'il ne semble pas s'opposer à l'obligation de renégocier le contrat en cas de modification imprévue des circonstances.
En l'espèce, en 1974, une commune (Cluses) a concédé l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises à une association (Association foyer des jeunes travailleurs). Le 15 octobre 1984 est signée une convention entre la commune, l'association et une société (Les repas parisiens). Par cette convention tripartite, l'association sous-concède l'exploitation de la concession à la société. Celle-ci, ayant obtenu des autres parties d'importants travaux d'investissement, s'engage à payer un loyer annuel à l'association et une redevance à la commune. Le 31 mars 1989, la société résilie unilatéralement la convention prétextant l'impossibilité économique de poursuivre l'exploitation.
[...] La convention prévoyait qu'en échange de l'arrosage de leur propriété, les particuliers verseraient une redevance fixée à 3 sols. Or, trois siècles plus tard, notamment à cause des bouleversements des Révolutions française et industrielle, les circonstances ne sont plus les mêmes que celles intervenues au moment de la conclusion du contrat ; la redevance est devenue insuffisante par rapport à l'entretien du canal. Saisis du litige, les juges du fond acceptent de modifier le montant de la redevance. Cependant, dans un arrêt du 6 mars 1876, la Cour de cassation va annuler leur décision. [...]
[...] L'article 101 entend notamment abandonner ce rejet de la théorie de l'imprévision fondée sur le principe d'intangibilité du contrat, et par là même, s'harmoniser avec le reste du droit étranger : si un changement de circonstances, imprévisible et insurmontable, rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation à son cocontractant, mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d'accord, procéder à l'adaptation du contrat, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe. Malheureusement encore une fois pour les partisans de la théorie de l'imprévision, ce projet reste pour l'instant à l'état de projet. [...]
[...] Au nom de cette loyauté, le juge, sans intervenir directement dans la modification des termes et des conditions du contrat, peut soit accorder des dommages-intérêts liés à la poursuite de son exécution, soit obliger les parties à renégocier le prix du contrat, le tout dans un objectif de pérennité de la convention. A noter que l'intangibilité du contrat résultant de l'alinéa 1 de l'article 1134 précité est contournée par le même article dans son alinéa 3 imposant la loyauté dans l'exécution. [...]
[...] Elle fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir violé les articles 1134 et 1147 du Code civil en ayant pas recherché si, en raison des contraintes économiques résultant des conditions d'exploitation de la concession déterminées par la commune, les concédantes n'avaient pas le devoir de mettre leur cocontractant en mesure d'exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour lui et ainsi d'accepter de reconsidérer les conditions de la convention, dès lors qu'un déséquilibre manifeste était apparu dans son économie générale La Cour de cassation doit répondre à la question suivante : la société peut-elle fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre économique existant lors de la conclusion du contrat ? Dans un arrêt du 16 mars 2004, la première chambre civile de la Cour de cassation répond par la négative. Elle maintien la décision de la Cour d'appel qui retient que le déséquilibre structurel du contrat, n'ayant pas été apprécié par la société du fait de sa négligence ou de son imprudence, ne permet pas de rompre de façon unilatérale et brutale le contrat. [...]
[...] Plus que l'intangibilité du contrat par une application stricte des alinéas 1 et 2 de l'article 1134 du Code civil, la Cour vient ici sanctionner la négligence et l'imprudence du professionnel. Elle ne peut se résoudre à accorder à ce dernier la résiliation du contrat ou des dommages- intérêts en contrepartie de son exécution sous prétexte d'une défaillance de sa part quant à la prise en compte des conditions d'exploitation de la concession : elle aurait dû se rendre compte préalablement à la conclusion du contrat que le prix des repas fixés par la commune ne lui permettrait pas de poursuivre l'exploitation du restaurant économiquement parlant, c'est-à-dire de rentrer dans ses frais. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture