Le doyen Carbonnier a qualifié le régime matrimonial de « Constitution de la famille ». Cette comparaison avec la Constitution étatique est pertinente. En effet, tout comme la Constitution d'un Etat régit l'organisation des pouvoirs dans une société, le régime matrimonial organise les pouvoirs des époux au sein du couple. A défaut de rédaction d'un contrat de mariage, les époux se voient imposer le régime légal qu'est le régime de la communauté d'acquêts. Il est vrai que pour assurer une certaine autonomie, ou plutôt une dépendance des époux, le régime matrimonial légal prévoit pour chacun des actes, quels sont les pouvoirs des époux. Ainsi sur les biens propres, l'époux propriétaire dispose en principe d'une gestion exclusive. En revanche, sur les biens communs, la question est plus complexe. La jurisprudence a souvent eu l'occasion de se prononcer sur la question, notamment la Première Chambre civile de la Cour de cassation dans des arrêts du 5 juillet 1988, du 16 mai 2000, et du 18 décembre 2002.
Dans ces trois affaires, les époux étaient mariés sous le régime légal de la communauté. Dans l'arrêt de 1988, il était question d'un bail d'une durée de 15 ans donné sur un immeuble commun, sans paiement de loyer, mais moyennant la réalisation de travaux. Quant à l'espèce de l'arrêt de 2000, il s'agissait de la mise en location-gérance d'un fonds de commerce commun. Enfin, dans le dernier arrêt de 2002, le juge était face à la résiliation d'un bail commercial d'un local abritant un fonds de commerce exploité par un époux indépendamment de sa femme. Dans les trois cas, les actes accomplis l'avaient été par un seul époux. Concernant la résiliation du bail commercial et le bail sans loyer, les conjoints ont demandé la nullité de l'acte en question, au motif qu'il nécessiterait une gestion conjointe, sur des fondements différents. En revanche, dans l'arrêt de 2000, les époux invoquaient le contraire, un époux seul pourrait mettre un fonds en location gérance. Les décisions des Cours d'appel ne les ont pas satisfaits, alors ils ont formé un pourvoi en cassation.
La Haute juridiction civile dut alors se demander quels sont les pouvoirs de chacun des époux quant aux actes de résiliation d'un bail commercial, de mise en location-gérance et de location sans loyer d'un bien commun.
La Cour de cassation a cassé deux décisions de Cour d'appel. En effet, elle considère que la mise en location-gérance d'un fonds de commerce commun relève d'une gestion concurrente. De plus, la Cour d'appel n'a pas justifiée sa décision quant à l'absence de contrepartie dans le cas du bail sans loyer. La Cour de cassation retient implicitement la gestion conjointe pour un bail donné à titre gratuit sur un bien commun. Enfin, en confirmant la décision d'appel, le juge de cassation précise qu'un époux peut seul résilier le bail commercial d'un local dans lequel est établi un fonds de commerce commun que l'époux exploite seul (...)
[...] Mais la rédaction de l'arrêt ne permet pas de conclure clairement à la nature du mode de gestion. En effet, que l'on soit dans la gestion exclusive ou la gestion concurrente, l'époux peut agir seul. La différence consiste dans le fait que dans la gestion exclusive seul l'époux propriétaire peut agir. Malgré l'imprécision de l'arrêt, il semble falloir conclure que l'on est en présence d'une gestion exclusive. En effet, l'article 1421, alinéa 2 donne uniquement pouvoir à l'époux exerçant une profession séparée d'accomplir les actes d'administration et de disposition nécessaires à celle-ci. [...]
[...] En effet, dans les arrêts étudiés, le juge fut face à une locationgérance, à un bail consenti sans loyer exigé et à un bail commercial d'un bien dans lequel est établi un fonds de commerce exploité par un seul époux. Ainsi, la gestion concurrente peut paraitre inadaptée. Rappelons-le, en vertu de cette règle, un époux peut sans l'accord de l'autre conclure certains actes. Ce principe a pour but de faciliter la gestion de la vie quotidienne du couple. Cet apport de la loi du 23 décembre 1985 a principalement voulu aider la femme à s'émanciper. En effet, avant le mari administrait seul la communauté et la femme n'avait aucun pouvoir dessus. [...]
[...] Si la Cour d'appel avait bien expliqué sa décision, il est fort probable que la Cour de cassation aurait rejeté le pourvoi. Ainsi, la dérogation ne pouvant s'appliquer, on aurait retenu la gestion concurrente. Dans cet arrêt, ni le requérant, ni la Cour de cassation n'a invoqué l'article 1424. Ce texte impose une gestion concurrente pour aliéner ou grever de droits réels les immeubles [ ] dépendant de la communauté Or, la durée du bail est de 15 ans. On aurait alors pu invoquer une assimilation de ce contrat à un acte grevant un immeuble de droits réels. [...]
[...] Cela concerne les actes de disposition à titre gratuit de biens communs. Cela parait évident, du fait de la gravité de l'acte pour la communauté qu'il est nécessaire que les deux époux y consentent. Le domaine de la gestion conjointe, ainsi posée (article 1422), est néanmoins peu défini. La jurisprudence a donc du le préciser. Par exemple, un bail sans versement de loyers mais avec une contrepartie matérielle, rentre-t-il dans le champ d'application de l'article. La question est la même quant au bail commercial. [...]
[...] Cet article précise que chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer Ainsi, la Cour envisage ce que le droit appelle la gestion concurrente. Il s'agit du mode de gestion de principe sur les biens communs. Son domaine est alors vaste. En effet, sont concernés les actes d'administration et de disposition. Mais il n'en demeure pas moins que des exceptions sont posées. Il convient de ne pas être trop hâtif. C'est pourquoi la Cour de cassation analyse avec précaution chacun des actes qui lui sont soumis. [...]
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