La doctrine contemporaine, dans sa grande majorité, a appelé si ce n'est à la disparition, tout du moins au cantonnement, des contrats dits réels . Cet appel a trouvé un écho dans l'arrêt du 28 mars 2000 de la Cour de Cassation qui diminue de façon substantielle l'étendue de cette catégorie de contrat. La 1ère chambre civile, rompant avec sa jurisprudence antérieure, a décidé que le prêt consenti par un professionnel de crédit n'était pas un contrat réel. Cette affirmation faite sous la forme négative implique que la conclusion du prêt produit les mêmes effets que tout autre accord de volonté : l'obligation, pour le prêteur, de remettre les fonds à l'emprunteur.
En l'espèce, un agriculteur avait acheté du matériel agricole dont le financement était en partie assuré par un prêt consenti par une société. Aux termes de ce contrat, le prêteur s'engageait à verser directement au vendeur le montant du prêt dès réception du bon de livraison envoyé par ce dernier, sous condition de certaines garanties, à savoir que l'emprunteur souscrive un contrat d'assurance-vie et que son épouse se porte caution solidaire. L'emprunteur a fait parvenir au prêteur les dossiers d'adhésion à la garantie d'assurance sur la vie et de caution de son épouse; la société venderesse ayant adressé le bon de livraison au prêteur mais l'acheteur étant décédé entre temps, le prêteur s'est refusé à financer l'opération.
Les héritiers de l'acheteur ont assigné le vendeur et le prêteur afin de voir prononcer la résiliation de la vente et subsidiairement condamner le prêteur à exécuter son engagement envers le vendeur. Le tribunal de grande instance a condamné le prêteur à payer la somme convenue au vendeur et à payer une indemnité correspondant à la dette de remboursement du crédit. Dans un sens similaire au premier jugement, la cour d'appel a condamné le prêteur à payer la somme convenue aux ayants-droit. Le prêteur a formé un pourvoi, reprochant aux juges du second degré de n'avoir pas respecté la nature juridique du prêt prévu par l'article 1892 du Code Civil. Selon lui, faute de remise de fonds avant le décès de l'emprunteur, le contrat de prêt, en raison de son caractère réel, n'aurait pas été formé. Ainsi, il estimait que son engagement ne pouvait s'analyser qu'en une promesse de prêt. Le deuxième moyen de cassation que fait valoir le pourvoi du prêteur fait grief à la décision prise par la cour d'appel en ce qu'elle condamne le prêteur à payer des dommages et intérêt aux héritiers et déclare les dettes réciproques éteintes par compensation. La société demanderesse soutien qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre tandis que l'avocat général à la Cour de Cassation, Maître Sainte-Rose, souligne qu'aucunes des trois branches de ce moyen ne critiquent véritablement les motifs de la cour d'appel qui caractérisent le comportement du prêteur.
Les juges de la Cour de cassation ont eu à s'interroger sur le fait de savoir si un contrat de prêt finançant une vente pouvait être valablement formé dès lors que le prêteur professionnel n'avait pas encore remis les fonds à l'emprunteur mais que la proposition de financement avait été signée par l'emprunteur et les conditions de garanties dont elle était assortie satisfaites. Le pourvoi a été rejeté par les juges de la 1ère chambre civile, énonçant que le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel. Le prêteur, par l'effet de son accord de volonté, est obligé au paiement de la somme convenue. D'autre part, dans une décision d'espèce, la Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait légalement caractérisé l'existence d'une faute de la part du prêteur en relevant que celui-ci avait mis en place, dans le contrat d'adhésion dont il était le concepteur, "une situation lacunaire" où l'emprunteur pourrait être engagé personnellement sans être couvert, du fait du prêteur, par l'assurance.
Est concerné par cette décision de la Cour le prêt dit de consommation (défini aux articles 1892 et suivants du Code Civil) que l'on oppose traditionnellement au prêt à usage ou commodat (leur objet qui diffère déterminant leur régime juridique). Plus précisément, est concerné par cet arrêt le prêt d'argent, contrat qui, de fait, tient une large place dans la catégorie des prêts de consommation.
Considéré comme une « décision particulièrement importante » par la doctrine , cet arrêt ne revêt pourtant pas toutes les caractéristiques d'un arrêt de principe. Au-delà du fait qu'il s'agisse d'un arrêt de rejet, son contenu, sans visas ni chapeaux, pourrait laisser penser à un arrêt d'espèce. Pourtant, la formulation générale et abstraite employée par la Cour («le prêt consenti par un professionnel de crédit n'est pas un contrat réel») dépasse manifestement les limites du cas d'espèce. Tout l'intérêt de cet arrêt réside dans cet attendu en ce qu'il modifie la nature du prêt consenti par un professionnel de crédit.
La jurisprudence avait admis traditionnellement le caractère réel du prêt dans la lignée du droit romain et de l'ancien droit. Elle décidait que le prêt de consommation en tant que contrat réel ne se réalisait que par la remise de la chose prêtée l'emprunteur lui-même ou à un tiers qui la reçoit ou la détient pour le compte de l'emprunteur. En l'absence de cette remise, il y a seulement une promesse de prêt dont l'inexécution fautive ne peut donner lieu qu'à des dommages-intérêts (Cass. Civ. 1ère, 20 juillet 1981). Cependant, le contrat de prêt, revêtant une place toujours plus prépondérante dans notre société de consommation, le législateur est intervenu afin de réglementer les prêts d'argent qui sont des opérations de crédit pouvant se retourner contre leurs bénéficiaires, les emprunteurs. Ainsi, les lois Scrivener (10 janvier 1978 et 13 janvier 1979) modifiées par les lois Neiertz (23 juin et 31 décembre 1989) offrent une protection pour les consommateurs contre les risques du crédit. La doctrine a relevé, qu'à la suite de ces lois, les prêts de consommation mobiliers et immobiliers étaient probablement devenus des contrats consensuels (même si les textes étaient insuffisamment précis sur ce point). Un avis de la Cour de Cassation et la jurisprudence devaient par la suite confirmer cette analyse et ce en matière de crédit à la consommation (Cass. avis, 9 octobre 1992), en matière de crédits immobiliers (Cass. Civ. 1ère, 27 mai 1998), ainsi que pour les prêts prévus lors de la conclusion de contrats d'épargne logement (Cass. Civ. 1ère, 3 juin 1997). Avec l'arrêt commenté, la Cour parachève une évolution déjà amorcée. La 1ère chambre civile a réaffirmé que « le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel » dans les arrêts du 2 mai 2001, du 27 novembre 2001 et du 4 juin 2002. Si dès son édition, de multiples propositions parfois contradictoires avaient été émises au sujet de la portée de cet arrêt, le débat n'a fait que s'accentuer lorsque la chambre commerciale de la Cour de Cassation a affirmé le 21 janvier 2004 que « l'ouverture de crédit, qui constitue une promesse de prêt, donne naissance à un prêt, à concurrence des fonds utilisés par le client », celle-ci ayant été suivie par la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation dans son arrêt du 18 novembre 2004. Même si une interprétation particulière de cet arrêt rendu par la chambre commerciale pourrait amener à le considérer comme un désaveu de l'arrêt du 28 mars 2000, ou tout du moins comme une discorde entre les deux chambres, cette interprétation n'est majoritairement pas partagée par la doctrine, l'intérêt et l'importance de l'arrêt du 28 mars 2000 étant aujourd'hui indiscutable.
Cette jurisprudence dont l'attendu désigne les contrats de prêts consentis par les professionnels du crédit amène, plus largement, à questionner et à préciser la nature juridique actuelle des prêts d'argent dans leur ensemble (prêts appartenant dans leur acception la plus fréquente à la catégorie des prêts dit de consommation définie à l'article 1892 du Code Civil) (I), puis à discerner les effets de cette position novatrice prise par la 1ère chambre civile (II).
[...] RTD Civ et s. D. Houtcieff, obs. sous Cassation. Com janvier 2004, RDC p ; Chr. Jamin. Éléments d'une théorie réaliste des contrats réels in Et. J. [...]
[...] Cour de Cassation, Civ., 1ère mars 2000, de pourvoi : 97 21422, Bull. n°105 La doctrine contemporaine, dans sa grande majorité, a appelé si ce n'est à la disparition, tout du moins au cantonnement, des contrats dits réels[1]. Cet appel a trouvé un écho dans l'arrêt du 28 mars 2000 de la Cour de Cassation qui diminue de façon substantielle l'étendue de cette catégorie de contrat. La 1ère chambre civile, rompant avec sa jurisprudence antérieure, a décidé que le prêt consenti par un professionnel de crédit n'était pas un contrat réel. [...]
[...] Pour ce faire, la cour de cassation détermine la date de formation du contrat par rapport au jour de l'acceptation de l'offre du professionnel du crédit. Ainsi, le point de départ du délai de prescription des actions en nullité des prêts de consommation se situe désormais au jour de la signature du contrat et non à la remise matérielle des fonds. Au cas où une condition suspensive serait incluse dans le contrat comme en l'espèce, le point de départ de l'action en déchéance des intérêts ouverte au débiteur (contestant la régularité de l'offre de prêt) serait le même puisqu'en vertu de l'article 1179 du Code Civil, la conclusion du prêt s'opère rétroactivement au jour de l'engagement sous condition. [...]
[...] Selon lui, faute de remise de fonds avant le décès de l'emprunteur, le contrat de prêt, en raison de son caractère réel, n'aurait pas été formé. Ainsi, il estimait que son engagement ne pouvait s'analyser qu'en une promesse de prêt. Le deuxième moyen de cassation que fait valoir le pourvoi du prêteur fait grief à la décision prise par la cour d'appel en ce qu'elle condamne le prêteur à payer des dommages et intérêt aux héritiers et déclare les dettes réciproques éteintes par compensation. [...]
[...] La doctrine[4] a relevé, qu'à la suite de ces lois, les prêts de consommation mobiliers et immobiliers étaient probablement devenus des contrats consensuels (même si les textes étaient insuffisamment précis sur ce point). Un avis de la Cour de Cassation et la jurisprudence devaient par la suite confirmer cette analyse et ce en matière de crédit à la consommation (Cass. avis octobre 1992), en matière de crédits immobiliers (Cass. Civ. 1ère mai 1998), ainsi que pour les prêts prévus lors de la conclusion de contrats d'épargne logement (Cass. Civ. 1ère juin 1997). [...]
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