« La loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ». Par cette disposition, l'article 2 du Code Civil français interdit l'application rétroactive des lois. Ce principe fondamental du droit français comme du droit européen va être mis à l'épreuve d'une question médicale et éthique, celle du droit de réparation dû aux enfants dont le handicap n'avait pas été décelé à la naissance, et à leurs parents, droit qu'une loi avait tenté de leur enlever. Le législateur peut-il permettre l'application d'une loi nouvelle à un droit de réparation déjà né ? En d'autres termes faut-il condamner les ingérences législatives rétroactives dans l'exercice du droit à réparation ? C'est à cette question que répondent les trois arrêts rendus le 24 janvier 2006 par la première chambre civile de la Cour de cassation.
[...] Cette affaire met en lumière un conflit de normes entre droit français et européen, et la supranationalité du droit européen. La Cour de Cassation reprend le modèle européen, tout comme l'a fait aussi le Conseil d'Etat, sous la forme d'une logique bipartite consistant d'une part à constater la privation d'un droit de créance en réparation (considéré comme un bien) et d'autre part à examiner si un juste équilibre avait été respecté entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens. [...]
[...] De plus, cette compensation pourrait très bien être remise en cause à chaque futur arbitrage budgétaire. Tant que le législateur ne parvient pas à réunir les conditions qui permettront d'élargir la prestation promise aux enfants handicapés, on peut supposer que les tribunaux persistent à sauvegarder le principe de réparation intégrale, y compris pour ceux des litiges dont l'origine est postérieure à l'entrée en vigueur de la loi. Après tout, explique la doctrine, si l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 n'est pas respecté par le juge, c'est d'abord parce qu'il ne l'est pas par le législateur lui-même. [...]
[...] D'où les pourvois en cassation de la Fondation Bagatelle et du médecin d'une part, d'Axa assurances d'autre part. L'argument des parties demandeuses à la cassation se base sur la loi 2002-304 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé selon laquelle les parents d'enfants nés avec un grave handicap ne peuvent réclamer au médecin ayant suivi la grossesse réparation de leur préjudice moral (indemnisé par la solidarité nationale si la faute médicale est prouvée), ainsi que du préjudice subi par l'enfant du fait de son handicap (premier moyen du pourvoi). [...]
[...] L'article 1er de la loi du 4 mars 2002 a en effet institué un mécanisme de réparation forfaitaire sans rapport raisonnable avec la créance de réparation dont bénéficiaient, avant la loi, les parents ou l'enfant né handicapé. Donc elle viole la Convention EDH, que la France doit obligatoirement respecter, et ne peut donc logiquement s'appliquer aux instances en cours. C'est ainsi, grâce à l'application de ce concept issu de la jurisprudence européenne, que les juges français voient ici leur solution sauvegardée. Au-delà des conséquences qu'elles pourraient avoir sur le droit de la responsabilité médicale, les suites de l'affaire Perruche sont une nouvelle étape dans le dialogue des juges internes et européens. [...]
[...] En effet, la loi anti-Perruche prévoit explicitement son applicabilité aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur (à savoir le 7 Mars 2002) à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation Donc normalement elle s'applique aux pourvois soumis à la première chambre civile. Cette action des parents a été entreprise avant l'entrée en vigueur de la loi précitée, et c'est à l'occasion de ce contentieux que la Cour de Cassation a dû se prononcer sur les conséquences juridiques de la loi du 4 mars 2002. [...]
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