Depuis le Code napoléon, le principe en droit français des contrats est le consensualisme : le seul accord des volontés des parties suffit à former le contrat. Pour autant, certaines traces de formalisme persistent : tantôt certaines formalités écrites sont nécessaires en vue de faire preuve de l'engagement (écrits ad probationem), et tantôt ces formalités sont exigées pour la validité même du contrat (écrits ad validitatem). Se pose alors une question pratique au juge : les écrits originaux sont-ils les seuls acceptables au sens des formalités, tant ad probationem que ad validitatem, ou peut-on également considérer des photocopies de ces originaux, en particulier lorsque ces derniers sont perdus, comme des écrits ?
En l'espèce, M. Froudière a emprunté à Mme Flety la somme de 200 000 F, et ne les lui a pas remboursé à la date convenue. Mme. Flety saisit alors le juge de première instance, qui condamne M. Froudière, lequel saisit la cour d'appel de Caen. La cour d'appel condamne le demandeur à payer à sa créancière la somme de 200 000 F en remboursement du prêt avec intérêts de 20 % l'an. Les juges du fond se sont fondés d'une part sur un commencement de preuve par écrit résultant d'une photocopie d'une reconnaissance de dette produite par Mme Flety (dont l'original est perdu), qui premièrement mentionnait la remise des fonds à M. Froudière, et deuxièmement énonçait la stipulation de l'intérêt de 20 % ; et d'autre part sur le complément de preuve que Mme Flety avait matériellement disposé de la somme indiquée dans l'acte. M. Froudière se pourvoit alors en cassation, soulevant deux moyens : D'une part, le prêt à la consommation étant un contrat réel, le prêteur (M. Flety) devait apporter la preuve de la remise matérielle des fonds. D'autre part, M. Froudière fait grief à l'arrêt de la cour d'appel d'avoir retenu le taux d'intérêt fixé à la photocopie, alors que selon l'article 1907, al. 2, du Code civil, le taux d'intérêt conventionnel se doit d'être fixé par écrit. Considérant le premier moyen inopérant, la Cour de cassation casse partiellement l'arrêt en retenant le second moyen. La Cour renvoie donc la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen.
Dès lors, deux questions de droit se posent au juge : une photocopie simple peut-elle valoir comme commencement de preuve par écrit ? De plus, la même photocopie peut-elle être considérée comme un écrit exigé pour la validité même du contrat (article 1907, al. 2) ? Il s'agit donc de savoir si l'on peut conférer à une photocopie simple à la fois valeur ad probationem, c'est-à-dire celle d'un écrit exigé en vue de faire preuve de l'engagement (I), et ad validitatem, c'est-à-dire celle d'un écrit exigé comme condition de validité même du contrat (II).
[...] Des précautions de la Cour nécessaires à cet assouplissement des règles de la preuve La reconnaissance d'une valeur probante à une simple photocopie, sans même original, n'est pas sans poser un problème concret : il est de nos jours très aisé de produire des faux écrits par photocopiage. En effet, il était admis qu'une photocopie pouvait avoir valeur probante si la partie qui la produisait détenait par ailleurs l'original. Mais en l'espèce, ce n'est pas le cas. Dès lors, cette solution de la Cour appelle des précautions préalables. [...]
[...] Commentaire d'arrêt : Cour de cassation, 1re civile février 1995, 92- 17.061 Depuis le Code Napoléon, le principe en droit français des contrats est le consensualisme : le seul accord des volontés des parties suffit à former le contrat. Pour autant, certaines traces de formalisme persistent : tantôt certaines formalités écrites sont nécessaires en vue de faire preuve de l'engagement (écrits ad probationem), et tantôt ces formalités sont exigées pour la validité même du contrat (écrits ad validitatem). Se pose alors une question pratique au juge : les écrits originaux sont-ils les seuls acceptables au sens des formalités, tant ad probationem que ad validitatem, ou peut-on également considérer des photocopies de ces originaux, en particulier lorsque ces derniers sont perdus, comme des écrits ? [...]
[...] Le premier moyen du pourvoi fait valoir que le contrat de prêt est un contrat réel, c'est-à-dire qu'il ne se forme qu'avec la remise de la chose prêtée à l'emprunteur (article 1892 du Code civil). Ainsi, cela suppose que le prêteur apporte la preuve de la remise matérielle des fonds à l'emprunteur. La question de droit posée à la Cour de cassation est donc la suivante : la photocopie simple a-t-elle valeur probante ? La Cour de cassation répond clairement par l'affirmative, en rejetant le moyen par une référence implicite à l'article 1347 du Code civil, qui porte sur le commencement de preuve par écrit. [...]
[...] Deuxièmement, nous l'avons dit, la photocopie simple n'a ici pas force probante absolue, mais seulement relative, à savoir en tant que commencement de preuve par écrit. Troisièmement et surtout, il faut souligner que la Cour préserve dans cet arrêt le pouvoir souverain du juge du fonds pour apprécier la validité de la photocopie (le juge du fond a en effet le pouvoir d'apprécier la valeur et la portée des documents qui leur sont soumis). En effet, la Cour de cassation se livre tout d'abord à un simple constat, car elle reconnaît implicitement que ce n'est pas à elle de juger de la valeur d'une photocopie : elle constate, objectivement, que la cour d'appel a retenu comme commencement de preuve par écrit du prêt allégué la photocopie de la reconnaissance de dette Les juges du fond gardent ainsi toute liberté dans leur appréciation, et peuvent dès lors, selon les cas, reconnaître ou non valeur probante à la photocopie. [...]
[...] La Cour de cassation accueille alors ce moyen, car cet acte [la photocopie] ne pouvait concerner que la preuve Il est donc clair que la photocopie simple n'a de valeur que probante, et non celle d'un écrit ad validitatem. L'arrêt de la cour d'appel est ainsi cassé partiellement (en ce qu'il a condamné M. Froudière au paiement des intérêts au taux de 20 au motif que ladite cour a violé l'article 1907 al du Code civil. En outre, en l'absence d'écrit fixant le taux d'intérêt conventionnel, c'est le taux d'intérêt légal qui devra être appliqué par la cour d'appel de renvoi. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture