Alors qu'elle était enceinte, Madame Perruche avait procédé à des analyses de sang, afin de s'assurer qu'elle était immunisée contre la rubéole. Elle avait expressément indiqué à son médecin qu'elle procéderait à une interruption volontaire de grossesse s'il s'avérait qu'elle avait contracté la rubéole et qu'il existait un risque pour l'enfant qu'elle portait. Les tests effectués par le Laboratoire de biologie médicale, analysés par le médecin, indiquent que la mère est immunisée contre la maladie. En réalité, les tests fournis étaient erronés. Sur la base des informations reçues, qui lui font croire à tort qu'elle est immunisée, la mère poursuit sa grossesse normalement, pour finalement donner naissance à un enfant handicapé.
Les parents de l'enfant handicapé assignèrent alors le médecin et le laboratoire en réparation du préjudice qu'ils avaient subi, ainsi que celui de leur enfant Nicolas. Par un arrêt rendu le 17 décembre 1993, la cour d'appel de Paris fit droit à leur demande en ce qui concernait leur propre préjudice, mais les débouta de leur demande relative au préjudice de l'enfant. Les parents de Nicolas se pourvurent alors en Cassation, demandant la réparation du préjudice subi par leur enfant handicapé. La Haute juridiction casse l'arrêt, et, reconnaissant par là le droit à réparation de l'enfant, renvoie les parties devant la cour d'appel d'Orléans. Statuant comme cour de renvoi, celle-ci se « rebelle » contre le jugement de la cour de cassation. Elle observe une position identique à celle de la première cour d'appel et rejette la demande de réparation relative au préjudice de l'enfant. Les parents de Nicolas forment alors un nouveau pourvoi en cassation.
S'appuyant sur l'article 1147 du Code civil, les demandeurs au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué d'avoir nié le lien de causalité existant entre les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec la mère et le préjudice subi par l'enfant. Les parents font valoir que la faute des professionnels de santé a privé la mère de la chance de pratiquer une interruption volontaire de grossesse et a causé le handicap de leur enfant, constituant un préjudice réparable.
Le problème de droit qui se pose est le suivant : un enfant handicapé peut- il se prévaloir d'une faute contractuelle commise par le médecin et le laboratoire à l'égard de sa mère enceinte, qui n'a pu exercer son droit d'avorter, et demander réparation du préjudice résultant de son handicap de naissance ?
[...] Il s'inscrit dans un plus large débat, autour des notions d'éthique et de dignité humaine, d'intégrité du corps humain et du droit à la vie. Dans ce type d'affaire, le juge doit faire preuve de prudence dans la formulation même de son dispositif. En l'espèce, alors que la cour se prononçait en faveur de la victime –l'enfant handicapé- les mots employés n'étaient pourtant pas des plus habiles. Déclarer que le moyen d'éviter le préjudice que constitue le handicap chez l'enfant est de recourir à une IVG revient indirectement à dire que la vie d'un handicapé est dommageable et vaut moins la peine d'être vécue. [...]
[...] Commentaire d'arrêt: Cour de Cassation novembre 2000, dit "Perruche" L'image simplifiée que l'on retient du juge est celle d'un magistrat qui ne statue que sur des questions d'ordre juridique et se tient au-dessus des contingences de ce monde. On l'imagine d'une objectivité et d'une neutralité sans faille, chargé de faire appliquer une loi d'airain. Cependant, il n'est pas rare que le juge se retrouve mêlé à un intense débat de société, quand sa décision vient à effleurer notre système de valeurs et entraîner des effets sociaux concrets. [...]
[...] Toute condition à laquelle le dommage est relié peut constituer une cause. Dans l'affaire Perruche, on remarque que les solutions retenues par les deux cours d'appel étaient identiques, tandis que la Cour de cassation, à deux reprises, a contesté leur décision, en ce qui concerne le préjudice de l'enfant. Dans son arrêt daté du 17 décembre 1993, la cour d'appel de Paris avait déclaré que le préjudice de l'enfant n'était pas en relation de causalité avec les fautes commises et que les séquelles dont il est atteint ont pour seule cause la rubéole que lui a transmise in utero sa mère. [...]
[...] Cependant, qu'en est-il de la demande en réparation de l'enfant ? Peut- il se prévaloir de la faute commise par les professionnels de santé, dans l'exécution du contrat formé avec sa mère ? Le pourvoi formé par les époux se fondait sur l'article 1147 du Code civil, qui oblige tout contractant à verser des dommages-intérêts en cas d'inexécution de son obligation. En faisant jouer le mécanisme de responsabilité contractuelle, au profit de leur enfant, l'argument des parents va au-delà de la simple perte de chance. [...]
[...] Le cœur de l'affaire, à partir de la décision de la Cour de cassation en 1996 concerne le droit de l'enfant à demander une indemnisation pour son préjudice personnel. Dans les jugements des deux courts d'appel et de la Cour de cassation, il est reconnu que le laboratoire a commis une erreur lors des analyses de sang de la mère, et que le médecin a manqué à son obligation de vigilance et de diligence dans son diagnostic. Il n'a pas agi comme aurait dû le faire un médecin de même spécialité normalement compétente, et ce compte tenu des connaissances disponibles en l'état de la science. [...]
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