« Si donner et retenir ne vaut en matière de donation, léguer et retenir est de l'essence des dispositions de dernière volonté » (Jean-Pierre Langlade-O'Sughrue) : en témoigne cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 novembre 1998 relatif à l'ordre de réduction des libéralités excessives.
En l'espèce, des époux ont consenti une donation de titres de rente à leurs deux fils. Par un acte sous seing privé en date du 14 novembre 1966, intitulé « don manuel de rente Pinay », ceux-ci ont constaté la remise de ces titres à leurs enfants. Puis, par acte authentique du 24 mai 1978, les époux ont consenti à un de leurs fils une donation en avancement d'hoirie d'un appartement. L'épouse a ensuite légué un appartement à sa petite-fille, et est décédée le 7 août 1983. Elle laisse ainsi son conjoint survivant ainsi que ses deux fils, héritiers de premier ordre et de premier degré, pour lui succéder. Le partage de la succession a soulevé des difficultés, notamment quant au rang d'imputation du don manuel et du legs sur la quotité disponible.
La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 15 décembre 1995, complété par un arrêt du 21 juin 1996, a estimé que le don manuel de titres de rentes devait s'imputer sur la quotité disponible du de cujus au même rang que le legs de l'appartement. Ainsi, les juges du second degré ont décidé que les deux libéralités litigieuses devaient être réduites dans les mêmes proportions.
Un pourvoi en cassation est alors formé.
La question qui se pose ici à la Cour de cassation est de savoir si un don manuel doit être imputé au même rang qu'un legs sur la quotité disponible.
Les juges du droit, au double visa des articles 894 et 923 du Code civil, répondent fermement à la question par la négative, et censurent l'arrêt rendu en appel. En effet, ceux-ci considèrent qu' « il résulte de ces textes qu'un legs, qui ne prend effet qu'au décès du testateur, doit être réduit avant une donation qui, même dépourvue de date certaine, a dessaisi le disposant de son vivant ».
Par cet arrêt du 12 novembre 1998, la Cour de cassation a rappelé la règle selon laquelle un legs doit toujours être réduit avant une donation, quand bien même il s'agirait d'un don manuel (I). Mais les juges du droit ne se sont pas arrêtés au simple rappel de cette règle, et ont profité de l'occasion pour en préciser le fondement, tiré de l'irrévocabilité des donations (II).
[...] La Cour d'appel, raisonnant par analogie, a alors considéré que le legs et le don manuel s'imputaient tous deux à la date du décès du disposant. Ainsi, elle a décidé que le don manuel de rentes devait être imputé sur la quotité disponible au même rang et dans les mêmes proportions que le legs. La Cour de cassation, qui ne conteste pas l'application de l'article 1328 du Code civil, sanctionne pourtant cette assimilation du don manuel au legs opérée par la Cour d'appel. [...]
[...] En effet, plus une donation est récente, plus elle est exposée à la réduction. Si la donation est notariée, la preuve de sa date ne soulève aucune difficulté, puisque l'acte authentique fait foi de sa date et de son contenu. Cependant, la jurisprudence a admis la validité de donations non solennelles, comme le don manuel. Le don manuel peut se définir comme le transfert d'un bien de la main à la main : il correspond à la tradition matérielle d'un meuble corporel. [...]
[...] C'est le décès de ce dernier qui va confirmer ses droits. Or, comme le relève une doctrine unanime, il est totalement aberrant de considérer qu'un testament et un don manuel doivent s'imputer au même rang sur la quotité disponible. Si le don manuel, en l'absence de date certaine, a pour date le décès du disposant, et par conséquent la même date que celle de la confirmation des droits du légataire, il est cependant certain que le don manuel a produit ses effets avant le testament. [...]
[...] Certains auteurs, antérieurement à ces arrêts, rejetaient le fondement de la règle tiré de l'irrévocabilité des donations, ainsi que le caractère impératif de celle-ci. En effet, ils estimaient que le disposant pourrait imposer un ordre inverse de réduction à celui posé par l'article 923, et ainsi exiger qu'une donation soit réduite avant un legs. Mais cette position minoritaire et non moins critiquable doit être aujourd'hui écartée, car elle est contraire à la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation. [...]
[...] Ainsi, s'il le législateur a choisi un tel ordre, c'est parce la donation est par essence irrévocable, au contraire du testament qui est révocable, conformément à l'article 895 du Code civil. Le droit du testateur est un droit discrétionnaire, et celui-ci a toujours le droit de révoquer un testament, cette révocation aurait-elle lieu le lendemain par un acte révocatoire dont l'existence ne serait pas révélée au légataire. Mais, pour les donations, la règle est diamétralement opposée, et le donateur ne peut révoquer par sa propre volonté une telle libéralité, sous peine de nullité totale de la donation (article 944 du Code civil). [...]
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