En l'espèce, un parent a consenti à ses enfants une donation partage avec réserve d'usufruit sur les parts d'une société civile. Les statuts de ladite société stipulaient que le droit de vote appartenait à l'usufruitier pour les décisions ordinaires et extraordinaires mais que dans tous les cas les nus propriétaires étaient obligatoirement convoqués aux assemblées générales.
Une décision prise en assemblée générale extraordinaire a approuvé un projet d'absorption de la société civile avec une autre. L'un des nus propriétaires a alors soutenu que la stipulation statutaire réservant le droit de vote à l'usufruitier était illicite. Par conséquent, il demande l'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée.
La Cour d'appel accueille ses demandes. Le parent usufruitier forme alors un pourvoi en cassation.
[...] Autrement dit, et en reprenant le principe posé par l'arrêt Gaste du 4 janvier 1994, la participation aux décisions collectives et la participation aux votes sont deux notions distinctes. Des doutes avaient pu naitre avec l'arrêt Château d'Yquem du 9 février 1999. En effet, la Chambre commerciale avait indirectement laissé entendre qu'il fallait lier le droit de participer et le droit de voter. Cela venait donc à reconnaître nécessairement un droit de vote au nu- propriétaire, au moins dans les assemblées générales extraordinaires. [...]
[...] En effet, l'incertitude jurisprudentielle quant à toutes ces questions semble inciter le législateur à intervenir rapidement pour assurer une certaine sécurité juridique à tous les praticiens, ces derniers étant soumis, selon la date de leur litige, aux évolutions de solutions jurisprudentielles. Le projet de réforme du livre II du Code civil relatif aux biens devrait, selon les vœux des praticiens, prendre en considération la situation et poser des règles claires et précises quant aux dérogations statutaires admises, quant aux recours possibles et quant à la reconnaissance de la qualité d'associé soit à l'usufruitier, soit au nu propriétaire soit aux deux. [...]
[...] Par ailleurs, la Cour de cassation utilise une autre formulation pouvant prêter à confusion : en quoi l'usufruitier aurait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts un usage contraire à l'intérêt de la société, dans le seul dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés Au regard de cette formulation, certains auteurs ont affirmé que la Chambre commerciale sous-entendait que la possibilité de conférer à l'usufruitier un droit de vote universel réside dans sa qualité d'associé ainsi, si cette interprétation venait à être confirmée, il faudra regretter que la Cour de cassation n'ait pas été plus claire. En effet, ici nous ne savons pas si la Chambre commerciale a réellement entendu reconnaître la qualité d'associé aux usufruitiers. Cette imprécision est ici source d'incertitude. De nombreux auteurs ont affirmé que la solution posée par la Cour de cassation le 2 décembre 2008 n'était pas satisfaisante. En effet, on semble voir, par le conflit entre droit des biens et droits des sociétés, les limites des constructions jurisprudentielles. [...]
[...] À ce titre, il convient de noter qu'il semblait logique que l'arrêt d'appel subisse une cassation : la dérogation statutaire était clairement protégée par un support légal. Pourtant la Cour d'appel avait vu dans cette dérogation statutaire la possibilité pour l'usufruitier de réaliser un abus de jouissance en se plaçant sur le terrain du droit civil des biens. Cependant, l'on comprend mal comment la seule attribution de la totalité des droits de vote à l'usufruitier peut constituer une atteinte aux droits du nu-propriétaire : la seule attribution, même si elle est de nature à laisser à l'usufruitier les moyens de nuire à la substance de la chose, ne caractérise pas en soi cette atteinte. [...]
[...] Par conséquent, la seule manière d'annuler la délibération litigieuse était de rapporter la preuve d'un abus de majorité. Il conviendra de voir, dans une première partie, que la Cour de cassation le 2 décembre 2008, prend position quant au partage du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire en cas de démembrement des droits sociaux avant de s'attarder sur l'étude, dans une seconde partie, de l'obligation de caractériser un abus de droit pour annuler une délibération litigieuse refusant ainsi l'utilisation du terrain du droit des biens au profit du droit des sociétés (II). [...]
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