Dans chaque société à responsabilité limitée, la gestion de la vie sociale est exercée par un mandataire, un gérant. Ce dernier peut être révoqué à tout moment par les associés, mais possède en contrepartie des pouvoirs étendus. Cependant, comme le montre cet arrêt rendu le 18 octobre 1994 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, les juges peuvent se retrouver confrontés au problème de l'opposabilité à la société d'un acte passé entre le gérant et un tiers portant directement sur l'objet statutaire de la société.
Le gérant de la société Al Malak conclut une promesse de vente du fonds de commerce de sa société avec la société Farb France. Dans cet acte, une clause prévoit le versement d'une indemnité en cas d'échec de la vente. N'étant pas autorisée par les associés, la vente ne s'effectue pas, mais la société Al Malak refuse de verser la somme promise justement au motif que cette vente n'étant pas autorisée par les associés, la promesse de vente lui est inopposable.
Dans son arrêt du 10 juillet 1992, la Cour d'appel de Paris ordonne le versement de l'indemnité prévue au motif que le défaut d'autorisation concerne les relations entre le gérant et la société, relations qui sont internes et qui ne peuvent donc pas affecter « les rapports entre le promettant et le bénéficiaire de la promesse de vente ».
[...] Mais ces alinéas sont ici inapplicables du fait qu'ils font exclusivement référence à des décisions relatives au déplacement du siège social, à la mise des statuts en harmonie avec les dispositions impératives de la loi et des règlements, ou lorsque les parts sociales ont fait l'objet d'un contrat de bail. La décision des juges est parfaitement justifiée par les textes ainsi que par l'éthique, même si cela a pour conséquence de rajouter une lourdeur supplémentaire dans la vie de la société, alors même qu'un des points fondamentaux du droit commercial est la rapidité des transactions. Cette dernière semble se réduire de plus en plus avec le temps : les juges ont donc fait le choix entre la protection des statuts et la souplesse caractéristique du droit des sociétés. [...]
[...] Par un arrêt du 18 octobre 1994, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel au visa des articles 49 de la loi du 24 juillet 1966 et 60 de la loi du 24 juillet 1966. En effet, les juges du droit reprochent aux juges du fond de ne pas avoir donné de base légale à leur décision. Ils n'ont en effet pas recherché, alors qu'ils y étaient invités, si la cession du fonds de commerce par le gérant n'impliquait pas une modification des statuts quant à la détermination de l'objet social pour laquelle la loi attribue expressément compétence aux associés Cet arrêt vient donc poser le problème de la compétence du gérant pour conclure de tels actes et nous amène donc à nous interroger sur la délimitation des pouvoirs de celui-ci Cette décision s'inscrit dans la continuité et vient confirmer la volonté des juges de voir les statuts strictement appliqués, augmentant ainsi la protection des associés (II). [...]
[...] L'intérêt social est une notion jurisprudentielle : pour certains, c'est l'intérêt de l'entreprise et il englobe donc non seulement l'intérêt des associés, mais aussi celui des tiers concernés ; pour d'autres, c'est l'intérêt collectif des associés, qui n'est autre que la recherche d'un profit. En tout état de cause, les décisions du gérant ne doivent pas aller à l'encontre de cet intérêt social. Seconde limite ; les pouvoirs dont le gérant est investi le sont sous réserve de ceux que la loi attribue expressément aux associés ou actionnaires (article 49 de la loi du 24 juillet 1966). Parmi ces derniers, l'article 60 de la même loi fait entrer dans cette dernière catégorie le pouvoir de modifier les statuts. [...]
[...] Comme expliqué, un objet large permettra une grande liberté d'action quand un objet étroit va la restreindre. Cette décision est donc de bon sens, applique parfaitement le droit et protège les associés qui se retrouvent à l'abri d'un gérant trop envahissant, dangereux pour la société. On peut cependant noter qu'il existe des dispositions permettant au gérant de prendre certaines décisions relevant normalement de la compétence des associés. Ces dispositions se trouvent aux alinéas et 10 de l'article L223-18 du Code du commerce. [...]
[...] Cette mauvaise foi peut permettre aux juges de se retourner contre le tiers et ainsi de protéger la société en déclarant inopposable la promesse de vente. Cependant, cette hypothèse est très rare, car difficile à prouver. En effet, la seule publication des statuts ne suffit pas à constituer la preuve exigée : c'est ce que précise l'alinéa 6 l'article 49 modifié de la loi du 24 juillet 1966. Dans notre affaire, on ne peut guère imaginer que le cessionnaire du fonds de commerce puisse traiter avec la société Al Malak sans savoir que ce fonds s'identifie à son objet. [...]
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