Nous sommes en présence d'un arrêt du 15 mai 2012 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Cet arrêt nous intéresse en ce qu'il traite d'une question sur laquelle la jurisprudence et une grande partie des auteurs sont en désaccord. Il s'agit de la question de l'existence des préjudices moraux chez les personnes morales.
En l'espèce, il s'agit d'un couple ayant tenu un restaurant à Biarritz durant trente ans céda la totalité des parts de la société d'exploitation, dénommée « La Pizzeria ». L'acte de cession contenait une clause de non-concurrence. Post-cession, les cédants méconnurent leur obligation en dirigeant une exploitation concurrente.
L'acquéreur, qui était une SARL, agit sur un fondement contractuel contre les cédants et « La Pizzeria » agit conjointement, en se plaçant sur le terrain de la concurrence déloyale. Bien que les résultats de l'exploitation acquise fussent en nette progression, un « préjudice financier » était allégué. La cour d'appel de Pau l'admit, car la clientèle aurait pu être plus nombreuse encore sans la concurrence des anciens exploitants. Les sociétés demanderesses réclamaient également réparation d'un « préjudice moral » à hauteur de 50 000 €. La Cour d'appel ne l'admit pas, estimant que les sociétés ne pouvaient par nature en subir.
[...] Derrière cette question première à laquelle la Cour de cassation a déjà répondu maintes fois se cache une question plus profonde, qu'elles sont les fondements du préjudice moral de la personne morale ? La Chambre commerciale accueille le moyen et, sur ce triple visa, casse la décision pour avoir retenu à tort que «s'agissant de sociétés elles ne peuvent prétendre à un quelconque préjudice moral ».La Cour de cassation va casser la décision de la Cour d'appel qui affirmait qu'un préjudice moral chez une personne morale n'était pas possible. [...]
[...] Le juge civil participerait ainsi à régulation sociale en punissant les comportements inadéquats. Cette instrumentalisation rend évidemment la notion de préjudice moral totalement artificielle. Il n'est guère possible d'avoir, pour le moment, de confirmations sur les intentions des juges de droites quant à l'utilisation et surtout quant à la nature de la notion de préjudice moral. Notre arrêt du 15 mai 2012 nous indique simplement que, l'arrêt retient que s'agissant de sociétés elles ne peuvent prétendre à un quelconque préjudice moral et qu'en conséquence la décision de la Cour d'appel est cassée. [...]
[...] Cette dérive n'est pas présente uniquement en droit civil. Le Code pénal de 1992 en effet, reconnu qu'une responsabilité pénale des personnes morales était possible. Ceci relève du même type de démarche. L'ensemble des techniques qui ont été mises en œuvre au fur et à mesure du temps nous a conduits à la transformation de la personne morale, simple être fictif, en un véritable être vivant doué de sentiment et de raison. [...]
[...] Les formes du préjudice moral des personnes morales G. Cornu définit le dommage moral comme le dommage subi par une personne dans ses sentiments. Cette définition marque immédiatement le fossé présent entre la notion de dommage moral et celle de personne morale. Accepter d'indemniser un dommage moral revient donc à reconnaître qu'une personne morale ressentir des sentiments. On constate que les préjudices moraux reconnus sont de trois types. Trois types de préjudices moraux sont protégés, ils peuvent découler d'une simple atteinte à l'activité, d'une atteinte à la réputation et à l'honneur ou encore d'une véritable souffrance psychologique. [...]
[...] com févr 91- Société Mercédès Benz France Tchumak il s'inférait nécessairement des actes déloyaux constatés l'existence d'un préjudice, fût-il seulement moral Notre arrêt du 15 mai 2012 n'est donc qu'une réaffirmation non équivoque d'un principe déjà énoncé maintes fois. Mais encore une fois la Cour de cassation s'abstient de donner des précisions. Le droit français n'est pas le seul à s'engager dans cette voie étonnante, effectivement, la Cour EDH dans l'affaire Comingersoll SA, jugée le 6 avril 2000, indique qu'elle ne peut exclure qu'il puisse y avoir un dommage autre que matériel pour les personnes morales. De plus, cet arrêt est cité dans plusieurs décisions de la Cour européenne. [...]
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