La compensation pour dettes connexes acquiert son autonomie au fil des années et notamment à travers cet arrêt rendu le 9 mai 1995 par la chambre commercial de la Cour de Cassation qui précise quelles en sont les conditions dans le cadre d'une procédure collectives pour des dettes nées de plusieurs conventions.
En l'espèce, la Sté Lapidor a conclu, le même jour, deux contrats d'approvisionnement avec deux sociétés distinctes mais appartenant à un même groupe. Le premier prévoyait l'obligation pour la société CEMA d'approvisionner en canetons à engraisser la Société Lapidor, laquelle s'engageait à les livrer, une fois gavés, à une Sté Darquier. Par le second contrat, ladite Sté Darquier s'obligeait à lui reprendre, après gavage, la totalité des animaux livrés par la Sté CEMA.
La Sté CEMA assigne la société Lapidor en paiement pour n'avoir pas réglé la totalité des livraisons de canetons, la Sté Lapidor lui oppose la compensation entre cette dette et la créance qu'elle détenait elle-même, au titre de ses propres livraisons, sur la Sté Darquier, mise en redressement judiciaire et dont la procédure fut étendue à la Sté CEMA. La compensation ayant été refusée tant par le Tribunal que par la Cour d'Appel, la société Lapidor forme un pourvoi en cassation.
La Cour d'appel rejeta la compensation en considérant d'une part que les dettes n'étaient pas réciproques puisque les Stés CEMA et Darquier avaient chacune leur propre personnalité juridique et une activité spécifique ; d'autre part que ces dettes n'étaient pas connexes non plus connexes dès lors que les deux contrats d'approvisionnement avaient été passés sans conclusion d'une convention-cadre.
Se pose donc la question de savoir si des obligations naissant de deux contrats passés avec des personnes morales distinctes peuvent faire l'objet d'une compensation malgré l'ouverture d'une procédure collective à l'égard des deux cocontractants : les conditions de réciprocité et de connexité sont elles remplies ?
La Cour de Cassation répond par l'affirmative et casse l'arrêt d'appel sur ses deux points ci dessus évoques. D'une part, la Cour de Cassation rappelle que suite à une décision de justice passée en force de chose jugée, les sociétés avaient fait l'objet d'une procédure collective commune et que leurs patrimoines étaient donc confondus. C'est pourquoi la Cour affirme que la réciprocité existe dès lors que sous l'apparence de deux sociétés distinctes, il n'y a en fait qu'une personne morale. D'autre part, la Chambre Commerciale juge que la connexité peut être retenue, malgré l'absence de contrat-cadre, entre des créances et dettes nées de ventes et d'achats issues de contrats différents mais qui constituent pour les parties les éléments d'un même ensemble contractuel servant de cadre général à leurs relations d'affaires. Or les deux contrats d'approvisionnement étaient liés entre eux et constituaient les deux volets d'un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations d'affaires des parties, ainsi les créances et dettes réciproques issues de leur exécution présentaient le lien de connexité indispensable au mécanisme de la compensation dans le cadre d'une procédure collective.
La Cour de Cassation procède à un élargissement du domaine de la compensation pour dettes connexes et d'établi un statut plus favorable au créancier dans le cadre de la procédure collective.
[...] Cette identité est l'exigence traditionnelle de la jurisprudence. Mais ici pourtant la Cour de Cassation admet pour la première fois de tirer comme conséquence de mécanisme de l'extension de procédure pour confusion de patrimoines l'admission de la compensation. Elle juge qu'il peut y avoir réciprocité dès lors que les deux sociétés en cause ont vu leurs patrimoines réunis en raison de l'extension de la procédure collective de la première à la seconde. Cela est contestable car nous pouvons penser que la confusion des patrimoines laisse subsister la personnalité des sociétés en cause. [...]
[...] En effet, comme nous l'avons vu, cette compensation permet de dépasser l'impératif d'égalité entre les créanciers pour conférer à celui qui peut se prévaloir de la compensation un privilège. Cette nature particulière de la compensation pour dettes connexes s'illustre particulièrement lorsque le débiteur renonce puisque le Code Civil en tire une conséquence à l'article 1299 : créancier qui a renoncé sciemment à la compensation perd les hypothèques et privilèges qui pouvaient garantir sa créance. Cela induit que la compensation agit comme un privilège qui, si on n'y renonce, signifie que l'on ne peut plus voir sa créance garantie d'une autre manière. [...]
[...] D'autre part, notre arrêt, comme nous l'avons vu, ouvre le champ de la compensation pour dette connexe en élargissant la compréhension des conditions de réciprocité et de connexité. Enfin, dans un arrêt du 24 octobre 1995 la chambre commerciale indique que le débiteur d'une entreprise en redressement peut lui opposer la compensation entre sa dette et une créance connexe déclarée au passif même si sa créance est soumise aux délais fixés par un plan de continuation de l'entreprise. Cette solution rappelle celle posée par le Code Civil à l'article 1292 en matière de délais de grâce n'agissant pas sur l'exigibilité de la créance. [...]
[...] L'arrêt de 1995 précise encore cette solution en envisageant la consistance et la nature du lien exigé entre les contrats pour que les obligations en résultant soient connexes. La jurisprudence a en quelque sorte évolué en trois temps à ce propos : d'abord, un arrêt du 19 mars 1991 faisait jouer la compensation au sein d'une opération économique globale, ou des relations commerciales suivies. Dans un second temps, un arrêt rendu le 5 avril 1994 avait subordonné la connexité à la conclusion d'un contrat- cadre. [...]
[...] La connexité apparaît donc comme une condition supplémentaire, un passe-partout qui permet d'ouvrir la compensation là où celle-ci devrait en principe rester impossible. En plus du domaine du redressement et de la liquidation judiciaires que nous avons évoqué et qui constitue sans doute son terrain de prédilection, elle permet à la compensation de jouer malgré une procédure de suspension provisoire des poursuites ou bien encore dans les hypothèses de cession de l'une des créances ou de subrogation qui font pourtant obstacle à une compensation légale ou judiciaire réalisée postérieurement. [...]
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