Dans cet arrêt célèbre « Canal de Craponne », les juges ont refusé de consacrer la révision du contrat pour imprévision, au visa de l'article 1134 du Code civil. Ceci est d'autant plus étonnant que les conditions de l'imprévision étaient toutes présentes, qu'il s'agisse d'un contrat à exécution successive, d'un changement de circonstances modifiant les conditions d'exécution d'un contrat ou de l'apparition d'un changement imprévisible lors de la conclusion du contrat.
Cette solution démontre bien la volonté de sécurité juridique dans le domaine contractuel qui se manifeste aussi par l'importance du principe de non-ingérence du juge dans les contrats.
En l'espèce, depuis 1560 et 1567, deux conventions avaient été passées ayant pour objet la fourniture d'eau destinée à alimenter des canaux d'irrigation. Le propriétaire du canal d'irrigation percevait la redevance de 3 sols par acres de terre irrigués pour l'entretien et la fourniture d'eau à la plaine voisine. À cause de la dépréciation monétaire au cours des trois siècles suivants, la redevance était devenue complètement dérisoire et inadaptée, elle ne couvrait même plus les frais d'entretien. En ce sens, le propriétaire décide de saisir les tribunaux afin de faire revaloriser la redevance prévue aux conventions de 1560 et 1567.
En 1867, la Cour d'appel d'Aix en Provence autorise la modification du montant des redevances, au motif que le contrat était devenu inéquitable.
[...] Le problème qui a été posé à la Cour de cassation c'est de bien de savoir si l'on peut réviser un contrat pour imprévision lorsqu'il apparait qu'il n'y a plus d'équilibre contractuel entre les parties. La Cour de cassation répond par l'affirmative le 6 mars 1876, elle casse en effet, l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix en Provence au motif que l'article 1134 consacre le principe de force obligatoire des contrats que la règle qu'il consacre est générale et absolue, et régit les contrats dont l'exécution s'étend à des époques successives de même qu'à ceux de toute autre nature ; que, dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des partis et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants Cette solution consacre une réelle volonté de protéger la force obligatoire du contrat, et ce, particulièrement en limitant le pouvoir du juge Alors que cette jurisprudence semblait constante, elle connait cependant quelques tempéraments qui s'inscrivent davantage dans la logique du droit européen des contrats (II). [...]
[...] La Cour de cassation rejette le pourvoi, la société n'ayant pas exécuté le contrat de bonne foi. Cet arrêt ne donne pas véritablement le pouvoir de révision au juge, mais en octroyant des dommages et intérêts à M Huard, celui-ci détient le pouvoir d'identifier une obligation de renégociation. Autrement dit en cas de changement des circonstances économiques majeur, si une partie semble lésée de cette situation, elle peut demander la renégociation du contrat et celui qui en profite s'il refuse, peut voir engager sa responsabilité du fait de sa mauvaise foi. [...]
[...] En ce sens, la jurisprudence Canal de Craponne malgré quelques tempéraments jurisprudentiels débutés par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, reste le fil conducteur du juge qui ne doit pas réviser un contrat pour imprévision. Le droit administratif permet de réviser le contrat pour imprévision et prévoit notamment qu'un contrat de droit administratif peut comporter des clauses, c'est ce qu'a jugé le Conseil d'État le 31 juillet 1912 Société des granits porphyroïdes des Vosges Dans le même sens, le droit privé des contrats admet l'insertion de clauses lorsque les circonstances économiques sont devenues instables. [...]
[...] Il peut s'agir également d'une clause de Hardship qui va permettre aux parties d'effectuer un réaménagement du contrat en cas de modification de l'équilibre du contrat. Ces clauses sont autant de moyens de pallier à la rigueur de la jurisprudence Canal de Craponne. La révision pour imprévision fut même admise en faveur d'une œuvre de l'esprit ayant cédé ses droits d'exploitations et subissant un préjudice de plus de 7/12 dû à une prévision insuffisante (article L131-5 du Code de la propriété intellectuelle). [...]
[...] Le juge saisi a donc le pouvoir de déterminer si l'entreprise est viable et en fonction de l'économie du contrat le résilier si celle-ci n'est pas acceptable. La jurisprudence administrative semble s'adapter à l'évolution des contrats, ceux-ci sont de plus en plus souvent de longue durée et sont marqués par la survenance de circonstances économiques néfastes à leur équilibre. Il est apparait alors justifié que la doctrine soit partagée sur cette jurisprudence Canal de Craponne, dans la mesure où elle ne laisse aucune possibilité à la partie souffrante de la survenance d'un évènement néfaste qui déséquilibre le contrat. [...]
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