Par cet arrêt de la deuxième Chambre civile, la Cour de cassation confirme le titre de l'ouvrage de G. Durry : « L'irremplaçable responsabilité du fait des choses. » En effet, cette décision en date du 28 mars 2002 démontre que l'application de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil prête toujours à débat depuis sa consécration par l'arrêt du remorqueur en 1896.
En l'espèce, une jeune fille de neuf ans, Dounia X., participe à un jeu improvisé s'apparentant au base-ball. Elle est blessée à l'œil droit par une balle de tennis relancée en sa direction par un autre enfant : Mohamed Y. qui utilise sa raquette comme une batte de base-ball.
La Cour d'appel d'Orléans confirma la position des premiers juges. Pour rejeter l'action en réparation du père de la jeune fille : Omar X., elle retient, d'une part, que l'usage commun de la balle de tennis, instrument du dommage, n'autorise pas la joueuse blessée à réclamer réparation sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil et, d'autre part, qu'en participant à ce jeu la mineure avait accepté les risques qu'il comportait, circonstance qui excluait également l'application à son profit du texte susvisé. Un pourvoi a été formé contre cette décision par le père de Dounia.
Le demandeur, dans son pourvoi, conteste les deux motifs des juges d'appel. Ces derniers auraient dû, tout d'abord, rechercher si l'action devait être dirigée, non pas contre le gardien de la balle, mais contre celui de la raquette : circonstance excluant de la sorte l'application de la théorie de la garde en commun. Mais l'argumentaire reposait aussi sur le fait que la minorité des protagonistes ne posait pas problème au sujet de la notion de garde. En effet, la Cour de cassation a admis depuis l'arrêt Gallibet qu'un enfant de trois ans peut avoir les pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction qui caractérisent la garde depuis l'arrêt Franck et ce, sans qu'il y ait à rechercher le discernement. Enfin, le père de la victime considère dans son pourvoi que l'application de la théorie de l'acceptation des risques particuliers est contraire à l'article 1384 alinéa 1er du Code civil.
Une jeune fille mineure victime d'un accident causé par un autre mineur, lors d'un jeu de balle improvisé auquel elle participait, peut-elle obtenir réparation de son propre dommage par l'intermédiaire de son père ? Mais plus précisément, est-ce la balle par son usage commun qui est l'instrument du dommage ou bien est-ce la raquette de l'auteur fautif qui a renvoyé la balle ? Puis l'on peut aussi se poser la question de savoir si par sa participation au jeu, la jeune fille a accepté les risques qui en découlent et qui, dès lors, priveraient celle-ci de toute réparation.
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel au visa de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil pour violation de la loi au motif qu' « en statuant ainsi, tout en constatant que la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d'une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y. avait l'usage, la direction et le contrôle, il en résultait que la raquette avait été l'instrument du dommage. » La cassation de l'arrêt au visa de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil s'appuie aussi, pour défaut de base légale, au motif que la Cour d'appel « en statuant ainsi, alors qu'elle a constaté par ailleurs que le dommage s'est produit à l'occasion d'un jeu improvisé par des mineurs, et non dans le cadre d'une compétition sportive », il en résulte le fait que l'application au profit de la jeune fille du texte susvisé n'était pas exclue par les circonstances.
L'on étudiera, tout d'abord, la décision de la Cour de cassation au regard de la théorie de la garde en commun (I) ; puis l'analyse se portera sur le périmètre de l'acceptation des risques (II).
[...] En érigeant en instrument du dommage la chose actionnée par l'homme, et non la chose entrée en contact avec la victime, la jurisprudence s'éloigne peu à peu de l'essence de la responsabilité du fait des choses pour se rapprocher de celle du fait personnel. Le fait de la chose caractérise l'intervention de celle-ci dans la réalisation du dommage dont il appartient normalement à la victime de rapporter la preuve. A cet égard, la doctrine discerne habituellement deux types de situations selon que la chose soit en mouvement ou inerte. Ainsi, lorsque la chose est en mouvement au moment de l'accident et a heurté la victime, on présume alors son intervention matérielle. [...]
[...] Enfin, le père de la victime considère dans son pourvoi que l'application de la théorie de l'acceptation des risques particuliers est contraire à l'article 1384 alinéa 1er du Code civil. Une jeune fille mineure victime d'un accident causé par un autre mineur, lors d'un jeu de balle improvisé auquel elle participait, peut-elle obtenir réparation de son propre dommage par l'intermédiaire de son père ? Mais plus précisément, est-ce la balle par son usage commun qui est l'instrument du dommage ou bien est-ce la raquette de l'auteur fautif qui a renvoyé la balle ? [...]
[...] Elle n'aurait effectivement pas eu la même puissance si elle était lancée par la main du joueur. La Cour de cassation a donc écarté la notion de garde en commun en entendant asseoir sa position sur une détermination indiscutable du seul gardien de la chose instrument du dommage puisqu'il en a l'usage, la direction et le contrôle : symboles de la garde depuis l'arrêt Franck. L'appréciation finaliste des conditions de la responsabilité du fait des choses se prolonge désormais par le rejet d'une cause d'exclusion de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil. [...]
[...] Pour neutraliser la garde partagée, la Cour de cassation contourne l'obstacle de la balle en retenant que l'auteur du dommage est gardien de sa raquette. Nul ne peut contester que le joueur qui blesse son adversaire avec sa raquette en ait bien la garde exclusive. Or, la Cour de cassation considérant que la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d'une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y. avait alors l'usage, la direction et le contrôle elle en déduit que la raquette avait été l'instrument du dommage. [...]
[...] Un principe ne souffre pas de discussion : la garde est alternative et non cumulative. L'exercice de pouvoirs concurrents sur une chose fait obstacle à l'application de l'article 1384 du Code civil. En effet, si on admet qu'une chose est sous la garde simultanée de plusieurs personnes, celui qu'elle blesse devrait en partie agir contre lui-même pour obtenir réparation. Plutôt que de réduire la réparation en proportion de la part de la victime dans la garde collective, la jurisprudence décide que la responsabilité du fait des choses est exclue dans les rapports entre gardiens. [...]
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