Un « outrage à la misère de l'Homme » selon les mots du professeur Malaurie, ou une solution hautement teintée d'équité et d'espoir pour les parents d'enfants nés handicapés ?
Approuvé ou non, cet arrêt rendu par la Cour de Cassation le 26 mars 1996 a suscité de grands remous au sein de la doctrine, annonçant la future mobilisation médiatique autour du fameux arrêt Perruche, rendu par l'Assemblé Plénière le 17 novembre 2000.
En l'espèce, l'enfant d'une jeune femme contracte la rubéole. La mère, soupçonnant d'être enceinte, fait rechercher la présence d'anticorps anti-rubéoleux. Elle émet de plus son désir d'interrompre sa grossesse si la recherche s'avère positive. Le premier test est négatif, mais la grossesse étant confirmée, son médecin lui prescrit une nouvelle analyse. Le résultat étant cette fois positif, le laboratoire procède à une dernière analyse qui elle se révèle être négative.
La femme mène alors sa grosses à terme, mais un an après sa naissance, l'enfant développe des troubles neurologiques et de graves séquelles causées par la rubéole congénitale contractée durant la vie utérine.
Les parents forment alors une première action en responsabilité contre le médecin et le laboratoire en réparation de leur propre préjudice. Celle ci est obtenue du fait de l'erreur manifeste du laboratoire et de « défaut de soins attentifs et diligents et du manquement au devoir d'information et de conseil du médecin ». La Cour d'Appel de Paris déboute cependant la demande du père, agissant au nom de son fils, en ne retenant pas l'existence de ce préjudice et en écartant le lien de causalité entre les fautes commises et le dommage subi par l'enfant.
Le père forme alors un pourvoi en cassation : la question qui se pose alors à la Cour de cassation est alors fortement empreinte d'éthique : il faut d'interroger sur le fait de savoir si la faute du médecin qui n'a pas décelé la rubéole de la mère, celle-ci n'ayant dès lors pas interrompu sa grossesse, est constitutive d'un préjudice pour l'enfant et constitue-t-il un préjudice réparable.
La Cour de Cassation, dans cet arrêt innovateur retient que l'action en responsabilité exercée au nom de l'enfant est recevable, et la responsabilité du médecin est retenue. Ainsi, la Cour retient que la naissance de l'enfant handicapé constitue un préjudice réparable (I). Cette solution passée totalement inaperçue en son temps a été annonciatrice d'un débat virulent, tant juridique que politique, à la suite d'un arrêt d'assemblée plénière rendu dans la même affaire quelque temps plus tard, en novembre 2000. Cette jurisprudence reste nécessairement d'actualité, dans l'attente de solutions concrètes. (II)
[...] Cependant, dans un arrêt du 13 juillet 2001, la Cour a exigé la preuve que les conditions médicales prescrites par l'article L221-3-1 du CSP c'est-à-dire qu'il faut prouver la forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic La preuve d'un tel lien de causalité devient très difficile à apporter. Ainsi, sans effectuer de véritable revirement de jurisprudence et tout en restant ferme sur le principe, la Cour de Cassation diminue fortement la portée des arrêts de 1996 et 2000. L'agitation créée autour de cet arrêt a poussé le législateur à intervenir en 2002. B. [...]
[...] Or la loi du 4 mars 2002, qui est d'après le législateur d'application immédiate aux instances en cours, prévoit une indemnisation bien moindre que celle qui pouvait être légitimement espérée par la mise en cause de la responsabilité civile du médecin, ce qui est reproché par la Cour européenne. Dès lors, sa jurisprudence désactive en fait la loi, du moins pour toutes les actions exercées avant l'entrée en vigueur de la loi et n'ayant pas fait l'objet d'un jugement définitif. La Cour de Cassation a très vite fait application de cette jurisprudence lui permettant de manière détournée de revenir à la décision antérieure. [...]
[...] Cette loi, et notamment son deuxième alinéa fusille radicalement la jurisprudence Perruche. Elle dispose en effet que nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale ne peut obtenir réparation de son préjudice que lorsque l'acte a provoqué directement le handicap Or la Cour de Cassation exigeait seulement que le lien de causalité qu'elle estime direct existe entre le handicap et les fautes commises dans l'exécution du contrat médical, et ayant entraîné la naissance de l'enfant handicapé. [...]
[...] L'existence du préjudice réparable : une source de contestation L'argumentation de la Cour d'Appel est claire et succincte : le fait de devoir supporter les conséquences de la rubéole, faute pour la mère pour la mère d'avoir décidé une IVG, ne peut, à lui seul, constituer un préjudice réparable : pour la cour d'appel, il n'y a donc aucunement un préjudice pour l'enfant. Là aussi, la Cour de Cassation s'oppose radicalement à cette argumentation : elle retient l'existence du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère Par définition, un préjudice se caractérise par la lésion d'un intérêt. Mais dans cette espèce, quel était le préjudice ? [...]
[...] La solution est encore celle de l'arrêt Perruche. Cette jurisprudence a paru aux yeux de beaucoup tout à fait contestable sur tous les plans. Mais cette solution est nécessaire pour la prise en charge effective des enfants nés handicapés, et tant que le législateur n'aura pas trouvé de solution concrète (les premiers fonds de solidarité nationale ne seront débloqué qu'en 2011 ) la jurisprudence de la Cour reste nécessaire. Si l'argumentation est loin d'être juridiquement incontestable, notamment concernant l'existence du lien de causalité entre le préjudice subi par l'enfant (la naissance handicapée) et la faute du médecin, le droit n'est pas une fin en soi et se doit de tenir compte de réalités concrètes. [...]
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