Il arrive parfois qu'une part sociale fasse l'objet d'un démembrement de propriété : elle est alors démembrée entre une nue-propriété et un usufruit. Les titulaires de ces titres démembrés sont respectivement appelés nu-propriétaire et usufruitier. La répartition des prérogatives, et en particulier du droit de vote, entre nu-propriétaire et usufruitier est prévue par la loi, notamment par l'article 1844 du Code civil. Cependant, en pratique, l'application et l'interprétation de cet article du Code civil posent parfois quelques problèmes. Cette idée est bien illustrée par l'arrêt du 31 mars 2004 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation. En l'espèce, un article des statuts d'une société en commandite par actions (SCA) prévoyait « qu'en cas de démembrement de la propriété d'une action, le droit de vote aux assemblées tant ordinaires qu'extraordinaires ou spéciales appartiendrait au nu-propriétaire ». Or, un groupe d'actionnaires, faisant valoir que cette stipulation avait pour effet de priver les usufruitiers de tout droit de vote, en a demandé l'annulation. La Cour d'appel fait droit à leur demande en considérant, sur le fondement de l'article 1844 du Code civil, que la clause litigieuse privant l'usufruitier de tout droit de vote est nulle car elle vide l'usufruit de sa substance. Un pourvoi en cassation est formé. Les deux premières branches du moyen soulevé font valoir que les articles 1844 du Code civil et L. 225-110 du Code de commerce prévoyant des modalités de répartition du droit de vote entre nu-propriétaire et usufruitier d'une action sociale, comportent également une mention selon laquelle les statuts peuvent en décider autrement. Par conséquent, selon le moyen, la clause litigieuse des statuts est valable puisque la loi permet de déroger à la répartition légale prévue. Enfin, la troisième branche du moyen, se fondant sur l'article 599 du Code civil, invoque le fait que la clause litigieuse ne peut pas être regardée en elle-même comme nuisant aux droits de l'usufruitier, et que seul l'exercice abusif de son droit de vote par le nu-propriétaire peut être mis en cause par l'usufruitier. Le problème de droit posé à la Cour de cassation est de savoir si la clause des statuts d'une société en commandite par actions privant l'usufruitier de tout droit de vote aux assemblées tant ordinaires, qu'extraordinaires ou spéciales, est ou non valide au regard de l'article 1844 du Code civil. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé en retenant que la clause litigieuse, ne permettant pas à l'usufruitier de voter les décisions concernant les bénéfices, et subordonnant à la seule volonté des nus-propriétaires le droit d'user de la chose grevée d'usufruit et d'en percevoir les fruits, est contraire à l'article 578 du Code civil qui attache à l'usufruit ces prérogatives essentielles et n'est donc pas valide. Tout d'abord, les rapports entre la répartition du droit de vote prévue par la loi entre le nu-propriétaire et l'usufruitier d'une part sociale et la liberté statutaire seront étudiés (I) ; puis, nous verrons que la clause statutaire privant l'usufruitier du droit de vote dans les délibérations concernant l'affectation des bénéfices est nulle (II).
[...] Tout d'abord, le fait que cet arrêt ait été rendu sur le fondement d'un article de droit des biens et non d'un article spécifique du droit des sociétés a été fortement critiqué en doctrine. En effet, certains estiment que le droit des sociétés est un droit spécifique auquel doivent s'appliquer des règles spéciales. D'autre part, selon M. Le Cannu, l'application de cet arrêt dans la pratique risque d'être très compliquée puisque depuis 1978 pour les parts sociales, et depuis 1988 pour les actions, des statuts de société privent de droit de vote des usufruitiers, en se fondant sur la lettre et sur l'esprit de la loi spéciale qui régit cet usufruit particulier. [...]
[...] Cette argumentation paraît logique, et pourtant ce n'est pas celle-ci que va choisir la Cour de cassation. Par conséquent, la liberté statutaire de déroger à la répartition du droit de vote prévue par la loi entre nu-propriétaire et usufruitier est très limitée : pour la Cour d'appel, la limite est que la clause statutaire ne doit pas priver l'usufruit de sa substance ; pour la Cour de cassation, nous allons voir que la clause statutaire ne peut pas priver l'usufruitier du droit de vote dans les délibérations concernant l'affectation des bénéfices. [...]
[...] La Cour d'appel fait droit à leur demande en considérant, sur le fondement de l'article 1844 du Code civil, que la clause litigieuse privant l'usufruitier de tout droit de vote est nulle, car elle vide l'usufruit de sa substance. Un pourvoi en cassation est formé. Les deux premières branches du moyen soulevé font valoir que les articles 1844 du Code civil et L. 225-110 du Code de commerce prévoyant des modalités de répartition du droit de vote entre nu-propriétaire et usufruitier d'une action sociale, comportent également une mention selon laquelle les statuts peuvent en décider autrement. [...]
[...] Un groupe d'actionnaires demande alors l'annulation de cette clause. Dans l'arrêt Gaste du 4 janvier 1994, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait décidé, dans une affaire exactement contraire (une clause privait un nu-propriétaire de tout droit de vote), qu'il pouvait être dérogé à la répartition du droit de vote prévu par l'alinéa 3 de l'article 1844 du Code civil, mais qu'aucune dérogation n'était possible concernant le droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives (prévu par l'alinéa 1er du même article). [...]
[...] Enfin, l'arrêt du 31 mars 2004 laisse de côté le problème de la reconnaissance de la qualité d'associé à l'usufruitier. En effet, en doctrine, il existe une querelle entre ceux qui veulent que l'usufruitier soit reconnu comme un associé et ceux qui lui refusent cette qualité. La chambre commerciale de la Cour de cassation n'a encore jamais tranché cette question, même si un arrêt récent a été interprété comme refusant la qualité d'associé à l'usufruitier (arrêt du 29 novembre 2006 rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation). [...]
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