L'arrêt rendu par la Chambre des requêtes de la Cour de cassation, en date du 3 août 1915, traite des critères et des conséquences de l'abus du droit de propriété.
Un propriétaire a installé sur son terrain, attenant à celui de son voisin, propriétaire d'un hangar pour dirigeables, et avec lequel il est en mésintelligence, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues de deux à trois mètres. Suite à des dommages causés à un ballon dirigeable, le voisin l'a assigné en justice.
La Cour d'appel d'Amiens, dans un arrêt du 12 novembre 1913, constatant que ce dispositif ne présentait pour l'exploitation du terrain de l'édificateur aucune utilité et n'avait été édifié que dans l'unique but de nuire à son voisin, a pu apprécier qu'il y avait eu par l'édificateur de ce dispositif abus de son droit et, d'une part, l'a condamné à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable, et d'autre part, a ordonné l'enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses de bois, tout en refusant la destruction du surplus du dispositif au motif qu'il n'était pas démontré que celui-ci eût jusqu'à présent causé du dommage au demandeur et dût nécessairement lui en causer dans l'avenir.
[...] Un pourvoi a été formé à l'encontre de cette décision pour violation des articles 544 et suivant et suivant du Code civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de les clore, pour violation par fausse application des articles 1382 et suivant du Code civil, et pour violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810. La Cour de cassation, dans l'arrêt du 3 août 1915 a rejeté le pourvoi au motif que la Cour d'appel avait légalement justifié sa décision. [...]
[...] Néanmoins, dès le milieu du XIXè siècle, et notamment avec l'arrêt du 3 août 1915, la jurisprudence affirme son pouvoir de contrôle en développant la théorie de l'abus de droit. Ainsi, même dans les limites matérielles assignées par la loi ou par les règlements, la domination du propriétaire foncier s'exerce, non pas souverainement, mais sous le contrôle des mobiles qui la guident, de l'esprit qui l'anime. On constate donc une évolution de la conception du droit de propriété qui est désormais vu comme un droit-fonction devant être exercée dans l'intérêt de tous, et non plus comme un droit absolu s'exerçant de manière discrétionnaire. [...]
[...] En cela, on s'aperçoit que la théorie de l'abus du droit de propriété présente une certaine parenté avec la responsabilité civile car elle s'oppose toutes deux à la réparation d'un dommage éventuel ou hypothétique. D'ailleurs, en l'espèce, le pourvoi vise bien l'article 1382 du Code civil, et la Cour de cassation affirme que les juges du fond en ont fait une bonne application. Mais la théorie de l'abus de droit n'en est pas une application pure et simple. L'abus de droit est une faute d'une nature particulière et ce n'est qu'une fois l'abus établi selon ses critères propres que la responsabilité entre en jeu. [...]
[...] La confirmation de la théorie de l'abus de droit A travers l'arrêt du 3 août 1915, la Cour de cassation a confirmé le fait que le droit de propriété, comme les autres droits subjectifs, n'était pas discrétionnaire et a consacré les conditions d'application de cette création prétorienne A. Une restriction à l'absolutisme du droit de propriété Il est acquis, à de rares exceptions près, que les droits subjectifs ne sont pas discrétionnaires. Bien que destinés à la satisfaction d'intérêts individuels, ils ne confèrent pas à leur titulaire des prérogatives illimitées. [...]
[...] Ainsi, en l'espèce, la cour estime que les ouvrages édifiés par le propriétaire ne présentaient aucune utilité, alors que celui-ci escomptait obtenir par ce moyen un prix plus élevé de son terrain. L'utilité était donc présente mais elle n'était pas justifiée car l'intérêt qui l'inspirait n'était pas sérieux et légitime. C'est donc le défaut d'intérêt sérieux et légitime qui constitue le révélateur de l'abus de droit. Alors que cet arrêt ne fait que confirmé les critères de mise en oeuvre de la théorie de l'abus de droit, il innove en ce sens qu'il apporte des éléments nouveaux vis-à-vis de la nature et des conditions de la réparation du dommage subi. II. [...]
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