Pour engager la responsabilité délictuelle d'une personne, il appartient de prouver le préjudice causé par un dommage réparable, le fait générateur et un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur. La définition de la causalité a fait l'objet de controverses doctrinales, et la jurisprudence a été variable concernant son application.
En l'espèce une personne, vraisemblablement en état d'ébriété, a été heurtée par un train alors qu'elle se trouvait sur la voie d'évolution du dépôt d'Achères. En effet après s'être trompée de train, la victime s'est endormie, puis est descendue non pas du côté du quai mais de celui de la voie ferrée. Ensuite elle s'est dirigée non pas vers la gare de triage, mais à l'opposé ou elle s'est retrouvée dans un lieu difficile d'accès et dans l'obscurité. Ayant été blessée, elle fait assigner la SNCF en réparation de son préjudice.
La requérante a été déboutée de sa demande par l'arrêt de la cour d'appel de Versailles rendu le 9 mai 2003. Aussi, elle a formé un pourvoi en cassation.
L'arrêt de la cour d'appel rejette la demande au motif que l'état d'ébriété expliquait son comportement anormal ; puisqu'elle se trouvait dans un lieu difficile d'accès et dans l'obscurité, la cour d'appel a retenu « qu'aucune faute ne pouvait être retenue contre le conducteur de la rame de train, non plus qu'il ne pouvait être reproché à la SNCF un défaut d'organisation ». Pour exonérer totalement la SNCF de la présomption de responsabilité pesant sur elle, la cour d'appel conclut sur un comportement imprévisible et insurmontable de la victime.
Ainsi, la présence de la victime (en état d'ébriété et dans un endroit inattendu) sur la voie, est-elle une situation répondant aux caractéristiques d'un cas de force majeure et susceptible de réparation totale sur le fondement de l'article 1384 alinéa premier du code civil ?
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 2005, décide de casser le jugement rendu par la cour d'appel de Versailles. Elle statue dans ce sens, au motif que la SNCF avait une obligation de s'assurer de l'absence de passagers dans la rame avant de la diriger vers le dépôt. Aussi, la deuxième chambre civile estime que le comportement de la victime n'était pas caractérisé par l'imprévisibilité et l'irrésistibilité. Elle conclut sur l'absence d'un cas de force majeure justifiant l'exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage.
Tout l'intérêt de cet arrêt repose sur la mise en œuvre d'une règle incomplète. En effet, bien qu'édictée à l'article 1384 du Code civil, le principe de la responsabilité délictuelle trouve ses limites dans l'absence de textes législatifs régissant sa mise en œuvre. Ainsi, c'est en pratique, et tout particulièrement par la jurisprudence, que ce principe se matérialise et se met en œuvre, mais toute fois de façon parfois décousue.
De plus, il existe certaines exceptions, exonérations au principe de responsabilité délictuelle comme le cas de force majeure. Brièvement fondée sur trois critères, la définition du cas de force majeur reste encore déchirée par les différentes juridictions entre elles.
Ainsi, il conviendra de s'interroger en quoi le principe du cas de force majeure et de ses dérogations restent-ils ambiguës dans leur application par les juridictions civiles ?
Par conséquent, nous envisagerons donc la réaffirmation du principe d'exonération du gardien en cas de force majeure (I) puis nous soulignerons que cet arrêt s'inscrit dans la continuité et reflète les incertitudes jurisprudentielles (II)
[...] Toutefois, il importe de ne pas interpréter la solution retenue par la deuxième chambre civile au-delà du bon sens. Le refus d'une exonération totale en cas de faute ordinaire de la victime Il ne faut pas interpréter la solution de l'arrêt du 15 décembre 2005 au-delà d'un certain seuil. En effet, l'arrêt ne limite pas l'exonération du gardien de sa responsabilité à l'hypothèse d'une faute de la victime constituant un cas de force majeure. Seulement, l'arrêt de la Cour d'appel concerne exclusivement la question d'une exonération totale. [...]
[...] La prise en compte de la faute de l'auteur du dommage est par définition indifférente. La détermination du comportement fautif sert, en réalité, lors de la mise en œuvre de l'indemnisation. Bien que la question soit surtout de déterminer un lien de causalité entre la chose et le dommage, il est difficile d'écarter l'idée de faute du gardien de la chose si le dommage était raisonnablement prévisible. Cette conception a été celle de la Cour d'appel de Versailles qui a d'abord refusé de retenir une faute l'égard du conducteur et de la SNCF ou un défaut d'organisation. [...]
[...] La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 2005, décide de casser le jugement rendu par la cour d'appel de Versailles. Elle statue dans ce sens, au motif que la SNCF avait une obligation de s'assurer de l'absence de passagers dans la rame avant de la diriger vers le dépôt. Aussi, la deuxième chambre civile estime que le comportement de la victime n'était pas caractérisé par l'imprévisibilité et l'irrésistibilité. Elle conclut sur l'absence d'un cas de force majeure justifiant l'exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage. [...]
[...] Une fois avoir énoncé les conditions d'exonération de la responsabilité du gardien de la chose qui a causé le dommage, la deuxième Chambre civile va casser la décision de la Cour d'appel. Elle va agir ainsi au motif que le comportement de la victime ne répond pas aux critères de l'irrésistibilité et de l'imprévisibilité. En se prêtant à un examen des faits, la deuxième Chambre civile va considérer que c'est le non-respect par le gardien de la chose de l'une de ses obligations qui ont rendu prévisible le dommage. [...]
[...] En effet, elle estime qu'une faute ne peut être retenue qu'à l'encontre de la victime. Selon la Cour d'appel, c'est en raison de son état d'ébriété qu'elle s'est retrouvée face à la voie dans un lieu difficile d'accès et dans l'obscurité De plus, aux yeux de la Cour d'appel, le comportement de la victime répond aux caractéristiques d'un cas de force majeure. Dès lors, elle considère que le comportement imprévisible et insurmontable de la victime exonérait totalement la SNCF de la présomption de responsabilité qui pesait sur elle Cette solution paraît plausible. [...]
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