La rupture fautive des pourparlers a depuis plusieurs années donné lieu à une jurisprudence incertaine – du fait, notamment, du silence du Code civil sur cette phase du processus contractuel – et est à l'origine de conflits doctrinaux constants. L'arrêt du 26 novembre 2003 de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation est en ce sens d'une importance capitale et ses enseignements sur le préjudice réparable et la responsabilité du tiers contractant lui ont valu une place dans Les Grands arrêts de la jurisprudence civile.
En l'espèce, la société Alain Manoukian a entrepris au printemps de l'année 1997 avec les consorts X des négociations en vue de la cession d'actions composant le capital de ceux-ci. Apres plusieurs mois de négociations et plusieurs projets d'accord établis, la société Alain Manoukian a appris que ses partenaires avaient conclu un contrat de promesse de cession des mêmes actions avec un tiers, la société Les complices, qui était manifestement au courant.
[...] Dans un arrêt du 7 janvier 1997, la Chambre commerciale a retenu la responsabilité du négociateur parce que la rupture brutale et sans motif légitime de pourparlers témoignait d'un manque de sérieux et de l'absence d'une volonté réelle de conclure le contrat. Pourtant dans un arrêt de la 3e Chambre civile du 3 octobre 1972 il était affirmé que, sur le fondement des articles 1382 et 1383, en cas d'échec des négociations, la responsabilité délictuelle ne pouvait être retenue en l'absence d'intention de nuire. [...]
[...] Dans son arrêt du 26 novembre 2003, la Chambre commerciale a refusé d'indemniser la perte d'une chance de conclure le contrat mais s'est montrée plutôt généreuse dans l'indemnisation du préjudice causé par la rupture fautive A. Le refus d'indemniser la perte d'une chance de conclure le contrat Par deux attendus dénués d'équivoque, la Cour exclut toute possibilité d'indemnisation des gains manqués du fait de la non-conclusion du contrat. Pour elle, en l'absence d'accord ferme et définitif, la société Alain Manoukian ne pouvait réclamer ni les gains qu'elle espérait tirer en cas de succès des pourparlers de l'acte de cession, ni même la perte d'une chance d'obtenir ces gains. [...]
[...] En second lieu, la victime d'une rupture abusive de pourparlers peut-elle obtenir réparation de la perte d'une chance de réaliser les gains attendus du contrat ? Non, répond la Chambre commerciale, parce que la non-conclusion du contrat trouve sa cause dans la décision qu'a prise l'autre partie de ne pas contracter et cette décision n'est pas en elle-même fautive. Enfin, le fait pour un tiers de conclure un contrat en ayant connaissance de négociations parallèles en cours et de promettre de prendre à sa charge les éventuelles condamnations pour rupture abusive de négociations constitue-t-il une faute délictuelle ? [...]
[...] Au nom de cette attente que les consorts ont continué à entretenir, la rupture brutale des pourparlers est décidée fautive. Il convient d'ajouter que l'impératif de bonne foi qui s'impose à des négociateurs est consacré dans le projet d'harmonisation du droit européen des contrats et dans le projet de réforme du Code civil français. Disons d'emblée que ce qui donne son importance à l'arrêt ne réside pas dans cette caractérisation de la rupture fautive du cocontractant mais bien plutôt dans le principe que la Cour pose sur la faute du tiers contractant. [...]
[...] C'est la première fois qu'un arrêt se prononce de façon aussi décisive sur les chefs de préjudice à prendre en compte en cas de rupture fautive des pourparlers. Avec comme résultat notable une distinction catégorique entre la perte d'une chance non caractérisée ici et la perte subie, réparée. B. L'indemnisation du préjudice causé par la rupture fautive Si la Cour de cassation s'est refusée à indemniser la perte d'une chance de réaliser les gains attendus du contrat, elle s'est montrée plutôt généreuse quant à la réparation de la perte subie. [...]
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