Les conditions de vie dans le milieu carcéral, qualifiées « d'humiliation pour la république » par le Sénat en 2000, n'a eu de cesse de se dégrader depuis lors.
Milieu souvent hostile et dangereux, la prison accuse chaque année un nombre de plus en plus élevé de suicide chez les détenus. Bien que les conséquences psychologiques de l'enfermement puissent à elles seules provoquer l'envie de se donner la mort, dans certains cas, cela permet d'identifier les dysfonctionnements du système pénitentiaire et amène à s'interroger sur les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat.
En l'espèce, M. CHABBA a été placé en détention provisoire le 18 juin 1992 pour une durée de quatre mois. A l'expiration de ce délai, ne comprenant pas pourquoi il était toujours détenu, il proteste auprès du personnel pénitentiaire du caractère arbitraire de sa détention. Cependant, celle-ci avait fait l'objet d'une prolongation par une ordonnance du magistrat instructeur, sans lui être notifiée, alors qu'elle avait bien été reçue au greffe de la maison d'arrêt. Face à ses protestations, le personnel lui a seulement demandé d'attendre le lendemain pour procéder à la vérification et de se calmer, sans prendre les mesures de surveillance nécessaires à son égard. Quelques minutes plus tard, M. CHABBA s'était donné la mort.
Mme CHABBA engage une action en responsabilité contre l'Etat et saisit le tribunal administratif de Paris le 22 juin 2000 qui rejettera sa demande tendant à l'obtention de la réparation de son propre préjudice, ainsi que celui de ses enfants mineurs, résultant de la mort de son époux. Par suite, elle fut déboutée par les juges du fond qui considéraient que les faits reprochés à l'administration pénitentiaire n'avaient pas de lien direct avec le suicide de M. CHABBA, qu'en conséquence, l'Etat n'était pas responsable. Elle se pourvoit en cassation devant le Conseil d'Etat.
Les juges du Conseil d'Etat ont du se demander si le suicide d'un détenu survenu en l'absence de surveillance du personnel pénitentiaire est susceptible d'imputer une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
La Haute juridiction retiendra que, « dans les circonstances particulières de l'espèce », le suicide de M. CHABBA est « la conséquence directe d'une succession de fautes imputables au service pénitentiaire », et que par conséquent « l'Etat doit être déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables du suicide de M.X. ».
Ainsi, en admettant un lien de causalité direct entre les faits reprochés à l'administration et le suicide du prévenu, elle procède à l'abandon de l'exigence d'une faute lourde permettant d'engager la responsabilité de l'Etat (I), tout en restant réservée quant à l'affirmation de la seule nécessité d'une faute simple permettant sa mise en oeuvre, en se cantonnant derrière une solution factuelle (II) (...)
[...] Commentaire d'arrêt : CE mai 2003, Mme CHABBA Les conditions de vie dans le milieu carcéral, qualifiées d'humiliation pour la république par le Sénat en 2000, n'a eu de cesse de se dégrader depuis lors. Milieu souvent hostile et dangereux, la prison accuse chaque année un nombre de plus en plus élevé de suicide chez les détenus. Bien que les conséquences psychologiques de l'enfermement puissent à elles seules provoquer l'envie de se donner la mort, dans certains cas, cela permet d'identifier les dysfonctionnements du système pénitentiaire et amène à s'interroger sur les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat. [...]
[...] Ce rapport comporte quatre axes principaux. Il vise à l'amélioration de la formation du personnel pénitentiaire, à l'application des mesures particulières pour les détenus les plus fragiles, à l'humanisation de l'univers carcéral et à la mise en place d'un dispositif comprenant des détenus de soutien qui aideront les plus fragiles. Il semblerait que ces mesures marquent une réelle volonté pour remédier aux carences de l'univers carcéral. A cela s'ajoute la loi de finance de 2010 qui a consacré un pan entier au secteur pénitentiaire. [...]
[...] Dès la fin de la seconde guerre mondiale, certains Principes Généraux de Droit ont été découvert dans l'objectif de limiter et de contrôler les actions de l'administration, ce qui a permis par ailleurs au juge administratif de s'émanciper, d'acquérir une plus grande indépendance. En conséquence, l'administration est contrôlée, et doit alors réparer les dommages qu'elle cause. Quelques années plus tard, en 1905, la jurisprudence précise le degré exigé de la faute permettant d'engager la responsabilité de l'Etat, à savoir une faute lourde (CE TOMASO- GRECCO). Lorsque l'on est face à une faute de service, c'est la responsabilité de l'administration qui est recherchée. [...]
[...] On peut aisément comprendre que, après quatre mois de détention, M. CHABBA ait ressenti un sentiment d'injustice et d'incompréhension totale, justifiant son état de détresse. De plus, le refus du personnel de donner suite à ces protestations, en lui disant de se calmer et d'attendre le lendemain pour vérifier si ces dires sont vrais, ajouter à cela leur négligence dans la surveillance de ce Monsieur qui présentait des signes visibles de détresse constitue non pas une faute, mais une succession de fautes leur étant imputables. [...]
[...] On ne peut donc pas engager la responsabilité de l'agent. Et inversement, en cas de faute personnelle, la responsabilité incombe à l'agent, non à l'administration. Ainsi, le Conseil d'Etat a retenu la responsabilité de l'administration en cas de faute personnelle de l'agent commise dans l'exécution du service. Le fait qu'une faute soit établie dans le service ou à l'occasion du service suffit à engager la responsabilité de la puissance publique (CE juillet 1918, Epoux LEMONNIER). Cela s'explique par le fait que l'administration étant plus solvable que l'agent, il est plus facile pour la victime d'obtenir réparation de son préjudice par ce système de substitution. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture