La preuve de l'erreur du solens est-elle, d'une manière générale, une condition de la répétition de l'indu ? En d'autres termes, celui qui a opéré un versement quelconque doit-il démontrer, outre que, effectivement, la dette qu'il s'agissait d'éteindre n'existait pas, également le fait que, ce faisait, il a commis une erreur ? Cette question, controversée naguère, est tranchée de manière drastique par le présent arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. Dès l'instant que le solens a montré qu'il a versé à l'accipiens ce qu'il ne devait pas, il est en droit d'obtenir restitution "sans être tenu à aucune autre preuve". En l'espèce, au cours de l'année 1985 et en considération de la conjoncture économique, la société Jeumont-Schneider avait été amenée à réduire ses effectifs. Afin d'éviter de procéder à des licenciements, elle avait offert, en complément de l'indemnité légale, une prime dite de "départ volontaire" aux salariés qui accepteraient de quitter l'entreprise. Ceux qui donnèrent suite à la proposition reçurent ainsi leur prime et, sur cette base, la société versa des cotisations de sécurité sociale à l'URSSAF de Valenciennes. S'avisant, ultérieurement, qu'une décision récente de la Chambre sociale de la Cour de cassation avait expressément exclu ces primes de l'assiette des cotisations sociales, ladite société en demanda le remboursement à l'URSSAF. La réclamation amiable n'ayant pas abouti, l'affaire fut portée devant la justice et le recours contentieux sera accueilli par la Cour de Douai. Il s'agissait manifestement d'une question de principe. Le pourvoi formé par l'URSSAF fut ainsi porté devant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. Cette dernière le rejeta, en substituant aux motifs critiqués les motifs de "pur droit" que nous avons évoqués en commençant : "Il résulte des articles 1235 et 1376 du Code civil que ce qui a été payé indûment est sujet à répétition (...) dès lors, les cotisations litigieuses n'étant pas dues, la société Jeumont-Schneider était en droit, sans être tenue à aucune autre preuve, d'en obtenir la restitution". Par l'autorité qui s'attache aux décisions de l'Assemblée plénière, la généralité des termes employés, en des motifs substitués, "de pur droit", cet arrêt est manifestement un arrêt "de principe" (...)
[...] Le présent arrêt de l'Assemblée plénière consacre évidemment l'idée de la chambre civile. Cependant, il généralise le principe et la formule est absolue. L'auteur du versement n'est tenu à aucune autre preuve que celle du caractère indu de ce dernier. On en verra, plus loin, les conséquences. Cette décision opère ainsi un retour à la lettre de l'article 1376 du Code civil et doit être pleinement approuvée. Il s'agit d'un quasi-contrat et l'obligation de restituer ce qui n'était pas dû naît de ce seul fait. [...]
[...] La chambre commerciale cassera cet arrêt en retenant que le droit à répétition de l'indu n'est pas subordonné à la démonstration d'un préjudice Les juges du second degré ayant, par ailleurs, avancé que les sommes perçues ne l'avaient pas été par suite d'une erreur du solens, la cassation interviendra encore sur ce point, la chambre commerciale reprenant alors la formule de l'Assemblée plénière. Ainsi celui qui a versé ce qu'il ne devait pas à quelqu'un à qui il n'était rien dû peut répéter dès l'instant qu'il démontre qu'il ne devait rien et que, en d'autres termes, son versement n'a pas de justification. Aucune autre preuve ne saurait être exigée de lui, même pas celle que le versement indu lui a causé un préjudice ou, si l'on préfère, l'a appauvri. C'est le sens bien compris des articles 1235 et 1376 du Code civil. [...]
[...] Il faut avancer que l'erreur n'est pas la seule explication possible à un versement qui s'avérera indu. Pour rester dans le registre de l'altération de la volonté, on doit aussi mentionner la contrainte, illégitime Conséquence inattendue, sans doute, l'auteur du versement n'a pas à démontrer qu'il a de ce fait subi un préjudice Contrainte illégitime: Le caractère indu du versement fait, en quelque sorte, présumer que celui-ci a eu lieu par erreur. C'est l'explication la plus plausible. Dans notre espèce, la société Jeumont Schneider avait, de toute évidence, cru que les cotisations sociales étaient dues. [...]
[...] L'analogie avec le régime de notre vice de violence pourrait le laisser penser. L'Assemblée plénière a répondu à la question: aucune autre preuve C'est un élargissement de la jurisprudence de 1984, qui ne retenait que l'erreur, et pouvait laisser planer un doute. Si le versement a eu lieu sans erreur, en connaissance de cause, la preuve d'une contrainte est inutile. Il suffira pour répéter de démontrer qu'il n'y avait pas de cette, que rien n'était dû. La généralité de la formule a une autre conséquence. [...]
[...] On reconnaît ici l'analyse moderne de la répétition de l'indu, conçue comme une application de la théorie de la cause. Le raisonnement est le suivant: la cause est un élément fondamental dont l'absence est sanctionnée par la nullité de l'acte. Or, le paiement est un acte juridique qui a pour cause la dette. Donc le paiement de l'indu est un paiement sans cause qui doit être annulé et la répétition de l'indu est ainsi une action en nullité de ce paiement. [...]
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