“ Un marchand sachant qu'il y a une famine à Rhodes va y vendre son blé à un prix très élevé, sans dire qu'il a dépassé un convoi de navires chargés de froment, qui le suivait de près avec la même destination ”, Cicéron, Les Offices III. A la lumière de cette citation il est aisé de remarquer que la notion de réticence dolosive est très ancienne, et que les grecs déjà la concevaient.
En l'espèce, en 1986 une dame a vendu aux enchères publiques cinquante photographies d'un certain Baldus, au prix unitaire de mille francs. En 1989, après de longues recherches elle retrouve l'acquéreur, et lui vend successivement trente-cinq puis cinquante autres photographies du même artiste chacune au prix de mille francs, prix qu'elle avait elle-même fixé. Plusieurs années après cette dernière vente, la vendeuse apprend que Baldus était un photographe de grande notoriété.
Cette dame porte donc plainte devant une juridiction pénale pour escroquerie, contre l'acquéreur des photographies. Une ordonnance de non-lieu ayant été rendue, la demanderesse assigne alors l'acquéreur devant la juridiction civile de première instance, en invoquant le dol dont elle estime avoir été victime.
Après avoir échoué devant le juge pénal du chef d'escroquerie, la demanderesse interjette appel, elle assigne son acheteur en nullité des ventes pour dol. La Cour d'appel de Versailles, dans un arrêt du 5 décembre 1997, fait droit à ses demandes et condamne le défendeur à payer la somme de un million neuf cent quinze mille francs à la demanderesse. Cette somme représentant la restitution en valeur des photos vendues lors des ventes de gré à gré de 1989, déduction faite des quatre-vingt-cinq mille francs déjà encaissés par la demanderesse. Pour fonder leur décision les juges du fond relèvent qu'avant de conclure avec la demanderesse les ventes de 1989, le défendeur avait revendu des photos de Baldus qu'il avait acquises en 1986, et à des prix sans rapport avec leur valeur d'achat de sorte “qu'il savait en 1989, qu'il contractait à un prix dérisoire”. Le défendeur, par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photos aurait donc manqué à son obligation de contracter de bonne foi, et “avait incité la demanderesse à conclure une vente qu'elle n'aurait pas envisagée dans ces conditions”.
Un pourvoi en cassation est alors formé par le défendeur en appel (l'acheteur).
La question de droit qui est posée à la Haute juridiction est donc de savoir si le silence de l'acheteur sur la valeur de l'objet de la transaction est constitutif d'une réticence dolosive.
A cette question, la Cour de cassation répond négativement en cassant l'arrêt rendu par la Cour d'Appel. La Haute juridiction estime qu' “en statuant ainsi alors qu'aucune obligation d'information ne pesait sur l'acheteur, la Cour d'appel a violé l'article 1116 du Code Civil ».
Par l'arrêt d'espèce la Cour de cassation a eu un double impact sur la jurisprudence civile, elle a posé le principe de la négation de l'obligation d'informer (I), et elle a fragilisé le lien existant entre l'obligation d'information et la réticence dolosive ( II).
[...] En effet selon la Cour de cassation, la réticence dolosive de l'acquéreur est exclue faute d'obligation d'information pesant sur celui-ci, alors que la jurisprudence constante fondait souvent la réticence dolosive sur le manquement d'obligation d'information. Il convient à présent d'analyser la fragilisation de ce couple de notions. II) La fragilisation du lien existant entre réticence dolosive et obligation d'information. Ce sont des raisons morales, parmi lesquelles : un certain devoir de loyauté, d'honnêteté et de bonne foi, qui ont poussé la jurisprudence à admettre la notion de réticence dolosive. Une certaine idée de solidarité contractuelle conduisait le juge à intervenir pour rétablir dans les faits l'équilibre entre les contractants. [...]
[...] Il n'appartient en effet pas au juge, par le biais de la réticence dolosive, d'imposer le juste prix. Cependant cette réaffirmation de la liberté contractuelle se fait au détriment de la transparence contractuelle. La transparence contractuelle est en effet affaiblie dans cet arrêt par le fait qu'il y a une protection implicite de l'acheteur peu scrupuleux. En l'espèce, le comportement de l'acheteur ne sera pourtant pas sanctionné. Les acheteurs sans scrupules et malhonnêtes auront ainsi tout intérêt à ce tourner vers cette décision. [...]
[...] A cette question, la Cour de cassation répond négativement en cassant l'arrêt rendu par la Cour d'Appel. La Haute juridiction estime qu' statuant ainsi alors qu'aucune obligation d'information ne pesait sur l'acheteur, la Cour d'appel a violé l'article 1116 du Code Civil Par l'arrêt d'espèce la Cour de cassation a eu un double impact sur la jurisprudence civile, elle a posé le principe de la négation de l'obligation d'informer et elle a fragilisé le lien existant entre l'obligation d'information et la réticence dolosive ( II). [...]
[...] Il paraît important de souligner que notre arrêt du 3 mai 2000 va être infirmé peut de temps après par un arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 15 novembre 2000, qui revient à la jurisprudence classique en matière de réticence dolosive. Les faits de cet arrêt sont semblables au cas que nous venons de développer mais les décisions s'opposent. La Cour de cassation estime dans l'arrêt du 15 novembre 2000 que la non communication d'information donc le silence de la part de l'acheteur constitue une réticence dolosive. [...]
[...] En l'espèce, le silence de l'acheteur sur la valeur de l'objet de la transaction n'était donc pas constitutif d'un dol par réticence puisque la loi ne lui imposait pas de parler. Connaissant la vérité et son importance pour l'autre partie, le défendeur s'est tut, son silence est manifestement de mauvaise foi, mais cela ne va être retenu par les juges. En effet, avant l'arrêt du 3 mai 2000, la jurisprudence définissait de plus en plus la réticence dolosive comme un manquement à une obligation d'information, en l'espèce cette dernière est niée. Un refus de prise en compte de l'obligation d'information entre particuliers. [...]
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