Chaque année, en France, près de quarante mille foyers sont expropriés. Alors que l'expropriation se définissait à l'origine comme un moyen mis en oeuvre par l'Administration, pour le compte d'une personne publique et pour l'utilité publique, afin de faire renoncer une personne privée à sa propriété privée moyennant compensation financière.
Or, l'évolution des recours à l'expropriation a rapidement laissé apparaitre qu'elle ne concernait plus uniquement les personnes publiques et/ou l'utilité publique, mais pouvait servir à des intérêts privés. Et la densité des contrôles opérés par le juge administratif ne pouvait en rien inverser la tendance.
Jusqu'à l'arrêt du 28 mai 1971 du moins.
Dans cette espèce, les autorités publiques avaient décidé de créer à l'est de Lille, un ensemble universitaire et une ville nouvelle et qui devaient au total accueillir près de cinquante mille étudiants et nouveaux habitants. Mais ce projet n'était pas sans conséquences, puisque pour se faire, l'administration devait exproprier près d'une centaine d'habitations placées sur les parcelles destinées à recevoir les nouvelles constructions. Malgré cela, le Ministre de l'Equipement et du Logement approuva l'expropriation, la déclarant d'utilité publique. Une association de défense des habitants concernés forma un recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté d'autorisation du ministre, et le Tribunal administratif de Lille fit droit à leur demande, annulant ledit arrêté. Le Ministre de l'Equipement emmena l'affaire devant le Conseil d'Etat afin de faire annuler le jugement du TA. Les différents points relatifs au dossier d'enquête et la procédure de celle-ci, et à la compétence du ministre seront laissés de côté pour cette étude puisque le point important soulevé devant le juge administratif concernait non pas la forme, mais le fond de la déclaration d'utilité publique.
En effet, comme dans tous les recours concernant une expropriation, le CE devait déterminer si l'objectif poursuivi par une telle mesure relevait ou non de l'utilité publique. Jusque là, l'appréciation par le juge de l'utilité publique de l'expropriation était purement formelle et juridique, puisqu'il ne cherchait qu'à justifier d'un fondement juridique la mesure en cause (...)
[...] La création du bilan coût/avantages : le droit de propriété renforcé. Arrêt de principe, le cas d'espèce permet au CE de conformer sa jurisprudence aux exigences sociales qui s'amplifient, notamment quand la propriété est considérée par la DDHC comme un droit inviolable et sacré et qu'elle constitue désormais un élément d'ascension sociale. Certainement influencée par le droit européen, la création de ce bilan pratique constitue un contrôle de proportionnalité, une mesure de la validité des décisions de l'administration en la matière permettant au juge administratif une immixtion dans la protection de la propriété privée A. [...]
[...] Certainement inspiré par le droit de la CEDH et de la CJCE, le juge administratif, avec ce bilan coût/avantage, redonne au droit de l'expropriation une pleine efficacité et un contrôle maximum afin de protéger au mieux le droit inviolable et sacré de la propriété privée. B. L'immixtion du juge administratif dans la protection de la propriété privée. Si le contentieux de la légalité de l'expropriation appartient effectivement au juge administratif, la loi de 1810 relative à l'expropriation a distingué cette fonction de celles confiées au juge judiciaire, notamment celles du transfert de la propriété et l'indemnisation des expropriés. Autant dire, la phase primordiale de l'expropriation. D'autant plus que le contrôle d'utilité publique du juge administratif apparaissait largement dépassé. [...]
[...] D'autant plus que la définition du bilan donnée dans l'arrêt d'espèce précise que le juge administratif vérifie si les atteintes à la propriété privée ( ) et éventuellement les inconvénients d'ordre social ( ) ne sont pas excessifs Une telle définition portée en partie sur des considérations relatives au droit des personnes contribue à emmener les juges du Palais-Royal sur le terrain de la propriété privée et de sa protection, et à effacer les frontières entre les deux ordres juridiques. Mais là s'arrête l'extension théorique de l'interventionnisme administratif en matière de propriété privée des personnes. Car la pratique du bilan coût/avantage à la suite de cette jurisprudence n'a pas eu pour conséquence une augmentation des annulations de déclaration d'utilité publique. Comme dans l'espèce, le juge a très souvent considéré que la proportionnalité des opérations d'expropriation était suffisante à les justifier au regard de l'utilité publique. [...]
[...] Un contrôle aussi poussé du juge ne tendrait-il pas à le pousser hors de ses compétences d'appréciation, notamment en devant prendre en compte le degré d'opportunité des décisions ? B. Un contrôle de légalité poussé à l'opportunité. Réside dans la solution proposée par le commissaire du gouvernement un dilemme, à savoir renforcer le contrôle effectif du juge en matière d'expropriation sans pour autant le faire tomber dans le contrôle de l'opportunité, auquel il se refuse, et surtout qui ne lui appartient pas. [...]
[...] Conseil d'Etat mai 1971 VILLE NOUVELLE EST Chaque année, en France, près de quarante mille foyers sont expropriés. Alors que l'expropriation se définissait à l'origine comme un moyen mis en œuvre par l'Administration, pour le compte d'une personne publique et pour l'utilité publique, afin de faire renoncer une personne privée à sa propriété privée moyennant compensation financière. Or, l'évolution des recours à l'expropriation a rapidement laissé apparaitre qu'elle ne concernait plus uniquement les personnes publiques et/ou l'utilité publique, mais pouvait servir à des intérêts privés. [...]
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