L'indétermination temporelle n'est pas de façon générale très bien perçue par le droit des obligations. Tantôt celui-ci y voit un motif de nullité via le grief de perpétuité ; tantôt, il choisit la voie de la précarité, en reconnaissant une faculté de rupture unilatérale, sous réserve du respect d'un préavis ou encore comme dans les promesses de vente, en permettant une libération après abandon à l'autre d'un délai raisonnable pour exercer son option. Néanmoins, il est des cas où cette même indétermination est source d'une grande rigidité et peut finalement conduire au maintien d'engagements bien au-delà du raisonnable. L'arrêt qui nous est soumis témoigne de cette application stricte.
En l'espèce, des époux avaient acquis en 1958 une parcelle d'un terrain. L'acte de vente mentionnait la constitution sur un fonds vendu au profit d'une portion appartenant au vendeur, d'une servitude de passage devant cesser lorsque la portion aura accès à la voie publique, grâce à une voie dont la création est en projet. Par ailleurs, l'acte prévoyait que, pour la durée d'existence de la servitude, le vendeur concédait gratuitement aux acquéreurs la jouissance exclusive de la parcelle dont il était resté propriétaire et s'interdisait, ainsi qu'à ses ayant droits d'y construire.
En 1994, le vendeur avait demandé en justice la caducité de son engagement en l'absence de réalisation de la voie publique. Autrement dit, pour lui, la servitude cesse et avec elle, son propre engagement de ne pas construire sur sa parcelle.
La Cour d'appel d'Aix en Provence dans un arrêt en date du 15 décembre 1998 accueille la demande en retenant que l'engagement du vendeur était nécessairement enfermé dans l'esprit des parties dans un délai raisonnable puisque limité à la réalisation d'un projet de voie déjà existant et que les parties n'avaient pu s'engager sur la réalisation d'une condition consistant en la création d'une voie en projet, au-delà d'une période qui excèderait maintenant 40 ans.
[...] La Cour de cassation rejette ainsi implicitement l'article 1175 du Code Civil mais effectue une application stricte de l'article 1176 du Code Civil (II). I/Le rejet implicite de l'application de l'article 1175 du Code Civil A/La non prise en compte du subjectivisme concernant la condition suspensive 1/Une approche subjective de la condition envisagée par les juges du fond Malgré les termes clairs de l'article 1176 du Code Civil, la jurisprudence et surtout les juges du fond ont toujours essayé d'améliorer la situation des débiteurs ayant eu l'imprudence de souscrire une condition suspensive sans délai prévu pour sa réalisation, ils l'ont fait en s'appuyant malencontreusement sur l'article 1175 du Code Civil. [...]
[...] Malgré tout, une critique avait été envisagée par le professeur Seriaux considérant qu'une telle solution fait quelque peu fi des intentions des parties, pouvant aboutir à prolonger indéfiniment un accord provisoire B/Le refus d'une atteinte à la prohibition des engagements perpétuels 1/Une absence de violation en théorie L'argument de l'engagement perpétuel est écarté par la Cour de cassation, la Cour de Cassation ayant décidé en 1991 qu'une obligation contractée sous une condition sans délai n'a pas un caractère perpétuel (Cass. 1ère Civ juin 1991). En l'espèce, la condition de réalisation de la voie publique n'est pas réalisée. Ce n'est pas pour autant qu'elle était défaillie (même après plus 40 ans), car les parties n'avaient pas prévu de date pour sa réalisation. Dans un tel cas d'après l'article 1176 du Code Civil, la condition subsistait. Elle pouvait toujours être accomplie et elle n'aurait été défaillie qu'en cas de certitude de sa non-réalisation. [...]
[...] 3é Civ mars 1975 et Cass. 3é Civ février 1982).Néanmoins, cette interprétation a pu être qualifiée à juste titre de déformante par le professeur Chabas, ce que la Cour de cassation a légitimement interprété. 2/Une approche subjective de la condition légitimement écartée Il ressortait clairement de ces arrêts, le souci des juges du fond, de ne pas laisser une partie dans l'incertitude (un tel souci se retrouve également en matière d'offre sans délai où la jurisprudence a décidé de la caducité après un délai raisonnable).Une telle position n'est pas illogique, mais au regard des exigences de l'article 1176 du Code Civil, une recherche de cette probable intention commune des parties doit ici être écartée. [...]
[...] Il était donc logique que la Cour de Cassation exerce sa censure. De plus, on sait que dans certains cas, en l'absence de délai, une condition peut toujours être accomplie y compris après la mort de la personne obligée, si elle peut être exécutée valablement par ses héritiers. 2/Une appréciation critiquable en pratique Cependant, cette solution a été qualifiée de bien sévère risquant de ne pas favoriser la sécurité juridique des relations juridiques car elle permettrait de qualifier une solution marquée par l'incertitude. [...]
[...] B/Le refus de l'immixtion du juge dans la durée de la condition 1/Une tendance à l'objectivation de la condition confirmée Finalement, en s'en tenant à une lecture stricte des termes de l'article 1176 du Code Civil, cet arrêt donne une solution précise, objective et prévisible et ne participe pas à la quête de l'éphémère (que regrettait le professeur Chabas).Si l'article 1176 du Code Civil, donne la liberté de prévoir ou non un temps fixe pour la réalisation de la condition, mais une fois qu'elles ont exercé leur option initiale, il convient d'appliquer strictement le texte et constater ou non de la défaillance de la condition. Le juge et les parties sont tenus de respecter ce texte (sinon, il pourrait y avoir une éventuelle entorse à l'article 1134 du Code Civil).Il convient de ne pas oublier que la réalisation ou la défaillance de la condition s'opère de plein droit, sans qu'il y ait besoin d'une mise en demeure. Le rôle du juge est simplement de la constater. Cet arrêt vient donc confirmer d'autres décisions affirmant cette objectivation de la condition (Cass. [...]
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