La règle « locus regit actum » a derrière elle une histoire multi séculaire. On sait qu'à l'origine, aucune distinction n'étant faite entre la forme et la substance des actes juridiques, cette règle avait vocation à régir le fond comme la forme des actes. Mais, à partir du 16ème siècle, l'application de cet adage s'est trouvée limitée à la seule forme, la loi d'autonomie régissant au contraire le fond des actes.
Bien que le principe n'en figure pas dans les dispositions du code civil, la validité de la règle « locus regit actum » a été réaffirmée dans l'arrêt Gaudin de la chambre civile du 10 août 1819 .
Alors qu'un second arrêt a déclaré, dans un premier temps, le caractère obligatoire de cette règle, l'arrêt Viditz (Chambre Civ. 20 juillet 1909), après d'âpres discussions doctrinales, couronna de succès la thèse de ceux qui, à l'instar de Lainé, défendaient le caractère facultatif de cette règle. Cette décision a fait surgir de nombreuses interrogations, interrogations qu'est finalement venu lever l'arrêt Chaplin du 28 mai 1963.
En l'espèce, un litige opposait deux sociétés de distribution de films concurrentes : la société Roy Export poursuivait en contrefaçon la société Richebé qui exploitait le film « the kid » en France. La société Roy Export, se considérant comme titulaire de tous les droits patrimoniaux sur le film en question, assigna civilement la société Richebé pour se voir déclarer seule propriétaire du film et faire juger que l'exploitation du film par la société constituait une contrefaçon.
L'exploitation ne cessant pas, la société Roy Export, à laquelle s'était joint Charlie Chaplin, fit opérer la saisie du film. La société Richebé intenta alors une action en mainlevée de la saisie et gagna en première instance. La Cour d'Appel de Paris, par un arrêt du 29 avril 1959, infirma le jugement. La société Richebé forma alors un pourvoi en cassation.
Son premier moyen arguait du fait que la Cour d'Appel n'avait pas répondu à la question de savoir si, d'une part, la société Roy Export était une personne morale pouvant ester en justice ni si, d'autre part, elle possédait en France la personnalité juridique telle qu'elle ressortait de la loi de 1857. La Cour de cassation déclara qu'il s'agissait là d'un nouveau moyen, mélangé de droit et de fait, qui était par conséquent irrecevable. Elle prît d'ailleurs la peine de préciser que la Cour d'Appel, en déclarant la société recevable à agir, avait implicitement mais nécessairement admis que la société était habile à plaider.
Le second moyen, pris en ces trois branches, forme avec le troisième moyen, le cœur du débat. La société Richebé y plaidait l'irrecevabilité de la société Roy Export du fait de l'irrégularité en la forme de l'acte d'acquisition des droits sur le film.
Le troisième moyen refusait également l'opposabilité, à la société Richebé, des titres de la société Roy Export, sur le plan des règles de la publicité organisée en France en matière de cinéma par la loi du 22 février 1944.
Enfin, le quatrième moyen remettait en cause les dommages-intérêts auxquels la société Richebé avait été condamnée sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, au motif, selon elle, qu'aucune faute ni aucun préjudice n'avait été démontrés par la Cour d'Appel. La Cour de Cassation répondit que la faute et le préjudice ressortaient des termes « agissements » et « contrefaçon » employés par la Cour d'Appel, rejetant ainsi le pourvoi dans son ensemble.
En définitive, cet arrêt donna un nouvel élan au caractère facultatif de la règle « locus regit actum » (I) en précisant qu'il valait aussi bien pour les conventions que pour les actes juridiques unilatéraux. Il ajouta également un terme à l'option double initialement dégagée par la jurisprudence : la forme pouvait emprunter, en plus de la loi nationale commune des parties et de la lex loci actus, la loi choisie pour régir le fond de l'acte. Par ailleurs, l'arrêt traite de certaines limites pouvant mettre en échec l'application normale de la lex loci actus (II).
[...] Les actes dont se prévalait la Société Roy Export avaient été établis à Paris selon la forme de l'assignment of copyright qui est une déclaration unilatérale du cédant, émanée et signée de lui seul, sans qu'y intervienne le cessionnaire, lequel y est simplement désigné. Ces actes avaient être présentés suivant la loi américaine au consul des États-Unis qui avait certifié l'identité du cédant. Il apparaissait ainsi clairement que les parties avaient entendu se soumettre pour la forme à la loi régissant le fond du contrat. [...]
[...] Plus largement, on sait que la règle a un caractère facultatif à l'égard des solennités imposées par les lois de forme locales sauf le cas des actes extra-patrimoniaux du droit de la famille, où la condition d'authenticité relève de la loi du fond. D'après la législation universellement observée en France et qui dans aucun temps n'a été méconnue, les actes de toute nature passés en pays étranger entre des Français et des étrangers doivent être faits suivant la loi du pays où ces actes ont lieu Civ mars 1853. Par exploit du 25 mai 1957. [...]
[...] D'autres bornes peuvent également venir mettre en échec le jeu normal de la règle locus regit actum II. Les modalités de l'éventuelle mise en échec de la règle locus regit actum Le pourvoi, essayant de démontrer l'irrégularité en la forme des actes de cession, invoque deux arguments supplémentaires : les prescriptions des décrets révolutionnaires auraient le caractère de loi de police et seraient requises ad validitatem La possible mise en échec de la règle par l'application des lois de police Les lois de police sont des règles impératives du droit interne, dont la teneur et le but nécessitent leur application immédiate aux situations internationales, quelle que soit la règle de conflit applicable. [...]
[...] Il n'en demeure pas moins que la thèse de l'application impérative a eu d'ardents défenseurs, et la jurisprudence s'est prononcée en ce sens jusqu'au revirement opéré par la Cour de cassation le 20 juillet 1909 dans l'arrêt Viditz. L'application impérative de la loi locale semblait présenter l'avantage de la sécurité juridique. Il avait également été avancé que les règles de forme seraient en réalité des dispositions d'ordre public et d'intérêt général qui justifieraient la compétence exclusive de la loi locale. Mais les besoins de la pratique se faisant ressentir, l'encouragement des relations privées internationales nécessitait que toute personne puisse, au lieu où elle se trouve, accomplir les formes extérieures pour la validité d'un acte. [...]
[...] Il est loin d'être évident que ces prescriptions soient des lois de police car elles visent à la protection d'un intérêt particulier et non collectif. Le pourvoi en soutenant qu'il s'agissait là de lois de police, obligeant tout le monde en France, abusait de cette notion de lois de police qui doit rester très exceptionnelle. Le simple fait que ces décrets visent à protéger les auteurs n'en font pas des lois de police. Quoiqu'il en soit, il ne semble pas en tout cas opportun de retenir trop facilement cette qualification qui a l'inconvénient d'entraver les relations privées internationales. [...]
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