La notion de bien en droit est le réceptacle de multiples liens juridiques variés. Il est de facto au carrefour des relations entre les individus et leur droit sur des valeurs érigées en biens par l'appropriation du droit de ces dites valeurs (Cf : Jean-Marc Mousseron : « Valeurs, Biens, Droits. ». Les biens ne sont pas seulement la conséquence d'une judiciarisation des rapports entre personne et chose, plaçant ainsi comme primeur les liens de droit, mais plus généralement, les biens permettent d'appréhender la situation factuelle de l'individu, a fortiori son désir en l'appropriation de la chose, en somme la prééminence individuelle sur son droit à la propriété. En droit national, lorsque nous parlons de biens, il est important de s'intéresser non pas à la chose en elle-même mais au lien de droit unissant l'individu au bien, de sorte que, dans l'esprit du juriste, la seule dénomination de « bien » raisonne comme un appel à l'étude du droit de propriété dépassant ainsi logiquement les catégorisations dichotomiques juridiques.
La cour européenne des droits de l'homme, dans sa décision en date du 30 novembre 2004 est d'importance comme en témoigne son acceptation d'instruire la requête en grande chambre introduite par l'état turc à la suite de la décision en première section du 18 juin 2002.
La cour dans un souci de « supranationalisation » de sa jurisprudence, s'arrache des considérations purement nationales en matière de biens et de droits s'y afférant afin d'humaniser les biens à travers la création de critères propres à la cour de Strasbourg en matière de droit de la propriété.
En l'espèce, M. Öneryyildiz occupe depuis 1988 un terrain où est implantée une déchetterie. Le requérant vit avec ses proches (femme et enfants) dans un bidonville érigé sans aucune autorisation de la mairie d'Istanbul. Le 28 avril 1993, une explosion dans les monticules de déchets se produit due à la méthanogénèse ensevelissant ainsi neuf proches ainsi que son habitation sauvage et biens y afférant.
Suite à l'épuisement des voies de recours nationales ne donnant que partiellement droit à la demande du requérant consistant en la réparation du préjudice de la perte de ses proches d'une part, et en la réparation du préjudice de l'ensevelissement de son habitation et biens d'autre part, le demandeur introduit un recours devant la cour européenne des droits de l'homme.
Cette dernière en sa forme sectionnaire condamne l'état turc au motif de divers manquements aux articles de la convention européenne des droits de l'homme (article 2 : droit à la vie), ainsi que des manquements à l'article 1 du protocole 1 (droit au respect des biens).
L'état turc introduit une requête auprès de la grande chambre de la cour strasbourgeoise afin de voir l'affaire obtenir un jugement en droit et en faits différent.
A cette situation complexe tant par les circonstances entraînant le décès des individus ainsi que les pertes matérielles, que par l'obstacle dressé par les différents régimes nationaux, les juges ont du s'interroger sur l'opportunité qui leur est donnée de dégager des principes supranationaux, plus précisément des critères de recevabilité des actions en réparation d'un préjudice patrimonial. De ce fait, il est nécessaire d'étudier en quoi la cour reconnaît un « intérêt substantiel » au requérant, donc de mettre en lumières les mécanismes permettant l'effectivité du droit de propriété afin d'en demander la réparation in fine. Une fois la propriété établie, nous observerons deux phénomènes, pierres au combien angulaires de la décision, à savoir l'autonomisation de la notion de bien par rapport aux différents régimes afférant nationaux ainsi que la « circonstancialisation patrimoniale » ou « le droit de propriété circonstancié » à savoir l'ensemble factuel permettant positivement ou négativement de faire droit à la demande du requérant, donc à identifier ou non le droit patrimonial.
[...] En l'espèce, le manquement à une obligation de protection des biens créé également sa protection. Il s'agit pour conclure d'une décision originale axée sur l'intérêt supérieur de l'individu, autour duquel, la cour va permettre la qualification de biens selon les circonstances d'une affaire. Elle ne s'appuie donc pas sur les mécanismes traditionnels du sol pour dégager le droit de propriété et donc sa protection corrélative, mais une appréciation globale des faits en l'occurrence des manquements de l'état qui tout en portant atteinte au droit de propriété du requérant, en signe sa protection. [...]
[...] Nous avons dégagé les apports de la cour EDH en matière de bien et de droit de propriété. Cependant, il reste une problématique centrale dans la décision, l'argumentation reconnaissant un intérêt substantiel au requérant. Par quels fondements, la cour justifie-t-elle la protection du droit de propriété d'un individu installé dans l'illégalité la plus complète (ou presque) ? Pour ce faire, nous nous pencherons sur les conséquences sur les tolérances étatiques pour en affirmer le caractère créateur de droit par la juxtaposition du caractère autonome et circonstancié dégagé en matière de bien Si, en l'espèce la reconnaissance du droit de propriété laisse place à l'aléa dans l'attribution ou non, il en va autrement quant à la délimitation de ce droit notamment dans le temps. [...]
[...] C'est bien parce qu'elle se refuse à rentrer dans des débats d'exégèse, de définitions des critères formellement nationaux, qu'elle interprète une notion eu égard de ses objectifs de protection de l'individu. Il n'est nulle question ici pour la cour de s'interroger sur le régime d'accession à la propriété ou d'immeuble par destination propre au droit national français ou autres régimes afférant à l'état turc, elle élabore une décision structurée et motivée par un enjeu à double considérations à savoir d'une part la protection de l'individu et d'autre part la protection des biens et plus précisément du droit établi pour la relation personne/chose à savoir le droit de propriété. [...]
[...] Un droit de propriété rationae loci. Si en l'espèce, la cour dégage le droit de propriété du requérant en fonction des circonstances de l'affaire, il est évident qu'elle se refuse à octroyer une partie du domaine public à un individu par voie d'occupation. Par conséquent, la propriété est ici accordée que dans un but de réparation puisque la cour encourage les états à faire respecter en prenant les mesures positives nécessaires à la protection à la fois des personnes mais dans le cadre qui nous intéresse des biens. [...]
[...] Alors certes, nous pouvons s'indigner de la relative faiblesse juridique en matière du raisonnement de la cour, cependant, il est de bon ton de souligner l'intérêt de protection ici mis en œuvre. Que le droit soit déshumanisé est une réalité, mais que la réalité du droit ne déshumanise pas l'individu est tout aussi fondamental et en ce sens, le raisonnement de la cour est parfaitement louable. On ne détruit pas le patrimoine d'autrui même si celui-ci n'est composé que de déchet. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture