Dans un arrêt de principe du 11 janvier 1950 (D. 1950, p. 125), la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté un pourvoi sur un sujet relevant de la possession légale d'un fonds immobilier.
Le défendeur au pourvoi, Monsieur Lebeurrier, était en effet en conflit avec Monsieur Dugué au sujet de la possession d'une haie.
Monsieur Lebeurrier prétendait ainsi, pour sa part, être possesseur de la haie. Il soutenait notamment pour l'établir qu'il avait procédé à sa taille depuis des temps très anciens. Monsieur Dugué contestait ce point de son côté, avançant que ladite haie faisait partie intégrante d'un terrain dont il était le régulier propriétaire.
La situation était compliquée par le fait que pendant une période de neuf ans, de 1932 à 1941, Monsieur Lebeurrier avait cessé toute taille. De plus, ce fait intervenait alors qu'en 1930, Monsieur Dugué avait « fait défense à Lebeurrier de couper le bois à l'avenir ».
C'est la reprise en 1941 et 1942, par Monsieur Dugué, de la taille de la haie qui a occasionné le litige. Monsieur Lebeurrier considérait en effet ces coupes comme un trouble à sa possession. En conséquence, il avait donc logiquement entamé une action possessoire.
Le problème soulevé était donc celui de savoir si Monsieur Lebeurrier pouvait, dans les circonstances de l'espèce – à savoir une pratique ancienne de taille arrêtée à la suite d'une injonction – être valablement qualifié de possesseur de la haie. Autrement dit, le problème de droit était celui de la validité de la possession immobilière de la haie du seul fait de l'intention de Monsieur Lebeurrier.
Pour résoudre ce problème et trancher le litige, la Haute juridiction devait dès lors répondre à deux questions juridiques, liées entre elles par une relation de conséquence. Dans un premier temps, en présence de l'existence d'une période creuse de neuf années dans les actes pouvant être qualifiés de possessoires, elle devait déterminer si la possession peut se conserver du fait de la seule intention du possesseur et à quelles conditions (I). Dans un second temps et dans une hypothèse affirmative, elle se devait alors de préciser les conditions nécessaires pour qu'une telle possibilité puisse se réaliser (II).
[...] La possession légale immobilière du seul fait de l'intention obéit donc au final à la majorité des règles gouvernant la possession. Il a été vu qu'elle devait être non équivoque. Elle doit également être continue, si et seulement si toutefois la nature même de la chose l'exige. C'est là une vision ontologique que développe en quelque sorte la première chambre civile. Ne pas user de la chose serait nier la chose, car l'être de la chose réside dans son usage. Cette position est cependant critiquable en pratique. [...]
[...] Ne pas tailler la haie, c'est l'abandonner. La jurisprudence apprécie donc véritablement au cas par cas l'usage continu impliqué par la nature de la chose. En définitive, il convient peut-être de noter que lorsque le juge découvre des règles de droit, il est important que le justiciable n'en soit pas lésé. En l'occurrence, l'objet du litige, une haie, autorisait probablement le juge à préciser sa conception de la possession légale immobilière du seul fait de l'intention. Cela illustre le fait que ce sont souvent les affaires les plus simples qui provoquent les décisions jurisprudentielles les plus riches. [...]
[...] En effet, dans une décision du 13 décembre 1948 p. la première chambre civile avait déjà posé que la possession se conserve par la seule intention La Haute juridiction ne fait donc ici, deux ans plus tard, que confirmer cette solution. Elle constitue par là une jurisprudence intéressante, dans la mesure où elle illustre et développe une des rares occasions où, dans le droit civil des biens, la perte du corpus ne signifie pas celle de l'animus. En effet, pour être constituée, la possession nécessite en principe la réunion de ces deux éléments, la perte de l'un signifiant en général la perte de l'autre. [...]
[...] La Cour de cassation ne déroge ainsi pas au droit commun régissant la possession. Elle ne fait qu'encadrer la répercussion qu'a sur la possession un élément particulier du droit de propriété, celui ne pas user ni jouir de la chose. Admettre que la possession puisse se conserver par la seule intention du possesseur légal ne signifie cependant par pour autant que cette possibilité ait vocation à se produire dans n'importe quelles circonstances de fait ou de droit. C'est d'ailleurs dans cette question que réside toute l'originalité et toute l'importance de cet arrêt de 1950 par rapport à celui de 1948, puisqu'il précise les conditions qui sont nécessaires pour qu'une possession se conserve effectivement malgré un non-usage de la chose. [...]
[...] Il faut toutefois noter que la Cour ne fait ici en réalité qu'appliquer à un cas particulier une jurisprudence de portée plus large. Cette jurisprudence d'aspect plus général est en effet celle qui soumet la naissance du corpus à la réalisation d'actes matériels. Il a ainsi été jugé, il est vrai assez sévèrement, que le fait d'avoir loué une parcelle de terre pendant plus de vingt ans, d'en avoir reçu les fermages et d'avoir payé les impôts qui lui étaient liés ne suffisait pas à caractériser l'exercice réel d'une possession (Cass. Civ. 3ème octobre 1990, Bull. civ. [...]
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