Les victimes des accidents de la route ont vu pendant très longtemps leur régime de réparation cantonné à un régime de réparation de droit commun fondé sur l'article 1384 alinéa 1 du Code civil. Les accidents de la circulation ne cessant pas de croître, la doctrine donna alors un nouvel élan à ce régime de réparation des victimes qui était jusqu'alors insuffisant et trop lent à son sens. Le législateur relaya ce mouvement doctrinal ambiant en promulguant le 5 juillet 1985, une loi dite "Badinter", autrement dit, loi "tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation".
En l'espèce, un véhicule auto-école dans lequel se trouvait une élève (Mme Jacob) et un moniteur (M. de Conink) qui tentait de traverser la chaussée, s'est encastré dans un autre véhicule qui arrivait en sens inverse. Le moniteur décède des suites de ses blessures, l'élève quant à elle a été grièvement blessée mais a survécu. Cette dernière assigne alors les consorts ainsi que l'assureur (Société CIMA) de son moniteur de conduite en responsabilité et indemnisation de son préjudice.
La Cour d'appel accueille sa demande, l'assurance (société CIMA) se pourvoie en cassation.
Le demandeur invoque le moyen selon lequel, l'élève était bien conductrice lors de l'accident, car elle était aux commandes et avait la maîtrise du véhicule au moment des faits. L'assurance estime donc que le statut de conducteur est à attribuer à l'élève, et qu'ainsi elle est responsable de la faute qu'elle a commise en tant que conductrice du véhicule terrestre à moteur; ce qui a pour conséquence de limiter voire d'exclure l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi. L'assurance ajoute qu'en outre, la Cour d'appel a exclu la possibilité d'une conduite commune du moniteur et de son élève, et a ainsi violé les dispositions légales contenues dans la loi Badinter.
Cet arrêt soulève le problème de droit suivant: Un élève apprenti- conducteur impliqué dans un accident de la circulation alors qu'il prenait une leçon de conduite en présence de son moniteur, peut-il se voir attribuer la qualification de co-conducteur d'un véhicule terrestre à moteur; et ainsi être reconnu responsable d'une faute, tendant à une limitation ou une suppression de l'indemnisation de son préjudice?
A cette interrogation, la Haute juridiction répond par la négative et rejette le pourvoi en affirmant que la "marche du véhicule ne se faisait que sous le contrôle de ce moniteur, seul titulaire du permis de conduire, (...) et que Mme Jacob ne disposait donc pas des pouvoirs de commandement et ne pouvait être considérée comme co-conductrice."
Cet arrêt met en relief la délicate qualification de conducteur et la responsabilité qui en découle s'agissant des relations entre élève et moniteur de conduite. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur la délicate identification du conducteur (I), et une fois celle-ci établie, nous étudierons l'absence de faute inexcusable de la victime (II).
[...] En versant cette prestation, l'élève est en droit d'exiger une qualité de service de nature à le parer contre d'éventuels dangers qui résulteraient même d'erreurs commises par lui. ( On peut faire un léger parallèle avec une autre situation: la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. Le commettant tire profit de l'activité de son préposé, et selon la théorie du risque "On impute logiquement à l'entreprise, la charge des risques dont elle tire son activité" selon G. Viney. [...]
[...] La Cour d'appel accueille sa demande, l'assurance (société CIMA) se pourvoie en cassation. Le demandeur invoque le moyen selon lequel, l'élève était bien conductrice lors de l'accident, car elle était aux commandes et avait la maîtrise du véhicule au moment des faits. L'assurance estime donc que le statut de conducteur est à attribuer à l'élève, et qu'ainsi elle est responsable de la faute qu'elle a commise en tant que conductrice du véhicule terrestre à moteur; ce qui a pour conséquence de limiter voire d'exclure l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi. [...]
[...] Le régime est donc ici celui du droit commun: l'exonération partielle par la faute de la victime. C'est pourquoi, les victimes cherchent autant que possible à éviter la qualification de conducteur, comme en l'espèce où la victime fait valoir sa position d'apprenti, afin de prouver que malgré les apparences, elle n'était pas le réel conducteur du véhicule. En l'espèce, Mme Jacob est manifestement conductrice du véhicule: elle se trouve de toute évidence au volant, en détient les commandes principales (frein, accélérateur): concrètement c'est donc par sa faute que l'accident s'est produit ou n'a pu être évité. [...]
[...] La matérialité de la conduite de l'élève _ D'emblée, le cas d'espèce s'inscrit dans le domaine d'application de la loi du 5 juillet 1985: il s'agit bien de victimes d'un accident, de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur. La victime qui demande réparation de son préjudice a en effet subi un dommage dans lequel était impliqué un véhicule, c'est à dire un véhicule qui a eu un rôle quelconque au moment de l'accident, donc pas nécessairement actif. Cependant, les conséquences indemnitaires lorsque l'on est victime sont bien différentes, selon que l'on est conducteur ou non lors de l'accident. [...]
[...] Le régime préexistant n'était pas satisfaisant à ce niveau là: les causes d'exonération du conducteur étant très nombreuses. Actuellement, les causes d'exonération sont strictement limitées: faute inexcusable et recherche volontaire du dommage; le fait d'un tiers et même la force majeure ne pouvant plus faire obstacle à l'indemnisation intégrale des dommages de la victime. En l'espèce, l'assurance ne peut invoquer aucune de ces causes exonératoires, et se voit dans l'obligation de verser à la victime l'entière indemnisation de son dommage. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture