Selon le Professeur Antoine Jeammaud, les décisions rendues par la Cour de cassation le 10 avril 1998 relatives aux syndicats « Front national » marquent un tournant dans la série de batailles judiciaires suscitées par l'initiative prise par le Front national de s'implanter, dès la fin de l'année 1995, dans la police, l'administration pénitentiaire ou des entreprises chargées du transport urbain, en utilisant à cette fin certaines institutions des relations professionnelles. En effet, la Chambre mixte de la Cour de cassation a rendu le 10 avril 1998 un arrêt relatif à la contestation de la qualité de syndicat professionnel d'un groupement dénommé Front national populaire.
Le 6 novembre 1995, a été déclaré un groupement sous la dénomination de Front national de la police (FNP), se prévalant de la qualité de syndicat professionnel. Estimant qu'il n'était qu'une émanation d'un parti politique, le syndicat national des policiers en tenue (SNPT), la confédération générale du travail (CGT) et la fédération autonome des syndicats de police (FASP) ont assigné ce groupement en justice aux fins de lui voir interdire de se prévaloir de la qualité de syndicat et d'utiliser la dénomination de Front national de la police. D'autres syndicats sont intervenus volontairement dans l'instance.
Par un arrêt du 17 juin 1997, la cour d'appel de Paris a fait droit à leur demande, et décidé que l'action des syndicats était recevable au motif que ces derniers avaient un intérêt légitime à agir. Par ailleurs, elle a considéré que le FNP n'était que l'instrument d'un parti politique et prônait des distinctions fondées sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique. Elle a alors décidé d'interdire aux FNP de bénéficier des droits réservés aux syndicats professionnels et de se prévaloir de la qualité de syndicat professionnel.
Le FNP forme alors un pourvoi en cassation au motif que les interdictions prononcées à son encontre conduisent à sa dissolution, que seul le procureur de la République peut prononcer. Ces interdictions constituent une violation des articles 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de l'article 2 de la convention internationale du travail du 9 juillet 48 et de l'alinéa 6 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946. Par ailleurs, il est reproché à la Cour d'appel de ne pas avoir recherché si le FNP avait un objet et une activité conformes à l'article L.411-1 du Code du travail qui définit le syndicat professionnel alors que, le syndicat n'était pas subordonné à des objectifs politiques et poursuivait les buts professionnels de ses adhérents.
La cour de cassation a dû s'interroger quant à la question suivante : Dans quelles mesures la qualité de syndicat professionnel d'un groupement dont l'objet et la cause seraient illicites peut-elle être dénoncée ? (...)
[...] L'arrêt commenté, ainsi que l'arrêt rendu le même jour relatif au syndicat front national pénitentiaire sont venus apporter une limite à l'interprétation libérale de l'article L.2131-1 du code du travail. Ils précisent en effet que même si la loi a élargi l'objet du syndicat, ce dernier ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques. Reste à préciser la critère de la poursuite d'objectifs essentiellement politiques retenu pas la Cour de cassation. La cour de cassation affirme que conformément à l'exigence de licéité de la cause et de l'objet du syndicat, un syndicat ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques. [...]
[...] La législation du syndicat du 21 mars 1884 souhaitait cantonner son objet. Elle affirmait en effet que les syndicats avaient exclusivement pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles. Cette formule consacrait le principe dit de spécialité du syndicat. Ce texte a été critiqué car il laissait suggérer qu'un syndicat pouvait avoir une activité commerciale, ce qui n'est pas le cas. De plus, il ne rendait pas compte de l'extension du syndicat aux professions libérales et aux fonctionnaires. [...]
[...] Un syndicat ne peut pas faire la promotion de la préférence nationale, cela étant contraire au principe de non-discrimination. La déclaration d'ilicéité de la cause du syndicat est toutefois contestée. En effet,la cour de cassation a rendu sa solution au visa notamment de l'article L.1131 du code civil qui dispose : l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet. Appliqué au syndicat, cet article conduit a prononcer la nullité du syndicat dés lors que sa cause est illicite. [...]
[...] Toutefois, une condition est posée à cette action : celui qui intente l'action en contestation de la qualité de syndicat professionnel doit avoir un intérêt légitime à agir. En l'espèce, les demandeurs étaient eux même des syndicats, la Cour de cassation a donc considéré que la condition était remplie. Dans une affaire similaire, tranchée le même jour que l'affaire commentée par la Cour de cassation, l'état, des organisations syndicales de salariés et fonctionnaires et un syndicat de magistrats avaient intenté une action en justice aux fins de voir interdire à l'organisation dénommée Syndicat Front national Pénitentiaire la qualité de syndicat. [...]
[...] Or, en l'espèce, le FNP est l'instrument d'un parti politique dont il sert les intérêts en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique. Dans cet arrêt, la Cour de cassation consacre ainsi la possibilité pour toute personne qui a un intérêt à agir, de contester la qualité de syndicat professionnel d'un groupement qui ne respecte par les articles L. 2131-1 et L.2131-2 du code du travail.(I) Par ailleurs, elle pose l'interdiction pour tout syndicat de poursuivre un objectif essentiellement politique et de porter atteinte au principe de nondiscrimination. [...]
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