« Tout coule; on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », a relevé le philosophe Héraclite. L'écoulement du temps est inéluctable. Or, le temps est consubstantiel au procès. Il a des effets juridiques, en particulier par le biais des délais à respecter. Toutefois, certains actes perturbent l'écoulement du temps, en interrompant le délai de forclusion, comme le montre l'arrêt de rejet de la chambre mixte de la Cour de cassation du 24 novembre 2006.
Le 17 décembre 1999, des époux ont acquis un lot de copropriété d'une superficie réelle inférieure de plus de 5% à celle exprimée dans l'acte de vente.
Par acte du 12 décembre 2000, les époux ont attrait le vendeur devant le tribunal d'instance afin d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme « proportionnelle à la moindre mesure ».
Le 23 mars 2001, le tribunal saisi s'est déclaré incompétent à raison de la valeur du litige et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance.
Le 26 mai 2004, l'arrêt infirmatif rendu par la cour d'appel déclare l'action devant le tribunal de grande instance recevable et condamne le vendeur à verser aux demandeurs la somme en principal de 10 976,33 €.
Le vendeur forme alors un pourvoi en cassation car il estime que, puisqu'il est constant que les délais de forclusion ne sont pas susceptible de suspension ou d'interruption et que l'article 2246 du Code civil ne s'applique pas aux délais de forclusion, l'action en diminution du prix introduite devant une juridiction incompétente n'est recevable que si celle-ci renvoie la cause devant la juridiction compétente avant l'écoulement du délai de forclusion d'un an à compter de l'acte authentique d'acquisition
Le 24 novembre 2006, la chambre mixte de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur le problème de droit suivant:
L'action introduite dans le délai de forclusion requis devant une juridiction incompétente en raison du dépassement de son taux de compétence est-elle recevable alors que le jugement d'incompétence et de renvoi à la juridiction compétente est rendu au-delà du délai imparti pour agir ?
La chambre mixte de la Cour de cassation répond positivement et rejette ainsi le pourvoi.
Elle déclare l'action recevable en s'appuyant sur l'article 2246 du Code civil selon lequel la citation en justice donnée même devant un juge incompétent interrompt la prescription. Il faut donc apprécier la date d'interruption du délai de forclusion au jour de la citation en justice. Elle estime en effet que l'article précité s'applique à tous les délais pour agir et à toutes les règles d'incompétence.
Dans cet arrêt, le juge affirme qu'une citation en justice, même exercée devant un juge incompétent, interrompt le délai de forclusion (I), et donne ainsi une interprétation nouvelle à l'article 2246 du Code civil (II).
[...] Dès lors, la date à prendre en compte est la date à laquelle les époux ont assigné, peu importe que la première juridiction saisie était incompétente. Or, cette assignation a eu lieu dans le délai de forclusion requis. L'action des époux est donc recevable, pour la chambre mixte. L'instance se poursuivant devant la juridiction de renvoi, si l'action a été introduite devant un juge incompétent avant l'expiration d'un délai de forclusion, son titulaire n'est pas forclos devant la juridiction désignée par ce juge. Outre cette interprétation extensive de l'article 2246 du Code civil, l'arrêt en donne une portée générale. [...]
[...] La position de la chambre mixte se révèle ainsi absolutiste. Par ailleurs, la chambre mixte a décidé de désavouer la jurisprudence de la première chambre civile et de la chambre commerciale, alors qu'elle aurait pu concilier les contradictions entre les chambres, contradictions qui n'auraient alors été qu'apparentes. En effet, il était loisible de remarquer que lorsqu'il s'agissait d'une compétence d'attribution, le délai de forclusion n'était pas susceptible d'interruption. A l'inverse, le délai de forclusion serait interrompu lorsque l'action aurait été introduite devant une juridiction incompétente du fait des règles de compétence générale (compétence ratione loci et compétence en raison du taux de la demande). [...]
[...] Le nouveau Code de procédure civile admet deux types de délais en ce qui concerne l'acte introductif d'instance: la prescription extinctive et le délai de forclusion (appelé également délai préfix Ces délais se distinguent eux-mêmes des délais de procédure, délais qui concernent les actes de l'instance et qui ne sont pas sanctionnés de la même manière. L'acquisition de ces deux types de délais a pour conséquence de mettre fin au droit d'action, c'est-à-dire au droit d'être entendu par le tribunal. Leur expiration est sanctionnée par une fin de non recevoir. Par conséquent, si ces délais sont expirés, le vendeur peut exciper ces moyens de défense. [...]
[...] Dans ce dernier cas, le juge peut relever d'office l'irrecevabilité de la demande si le délai de forclusion est d'ordre public. En tout état de cause, en l'espèce, le juge n'a pas a relevé d'office puisque le défendeur a voulu exciper ce moyen de défense. Le délai de forclusion est un délai qui a pour objet de limiter temporellement le droit d'action tandis que la prescription se caractérise par un comportement d'abstention relatif à l'exercice d'une prérogative, droit d'agir en justice ou autre droit substantiel. [...]
[...] Il reste silencieux quant au délai de forclusion. Si la loi Badinter (1985) a précisé que l'interruption est valable pour tous les délais pour agir lorsqu'on est dans le cadre de l'article 2244 du Code civil, elle n'a rien mentionné en ce qui concerne l'article 2246 du Code civil. Par conséquent, deux courants doctrinaux et jurisprudentiels se sont dégagés. C'est du fait de cette divergence de jurisprudence entre les chambres de la Cour de cassation que cet arrêt a été rendu en chambre mixte. [...]
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