L'arrêt de cassation rendu le 24 janvier 2006 par la Première chambre civile de la Cour de cassation concerne l'articulation des régimes de prescription trentenaire et quinquennale.
En l'espèce, au cours de l'année 1960, un de cujus a laissé en succession son épouse en secondes noces et ses trois enfants issus d'un premier mariage. En 1961, ces derniers renoncent à succéder. En 1998, un des trois renonçant, aux droits duquel viennent ses propres ayants droit, assigne les héritiers du conjoint survivant en annulation de la renonciation pour dol et recel successoral.
Par arrêt confirmatif rendu le 19 décembre 2002, la Cour d'appel de Lyon déclare l'action irrecevable car prescrite en vertu de l'article 2262 du Code civil, la prescription trentenaire ayant commencé à courir le jour où la renonciation arguée de vice avait été passée, c'est-à-dire en 1960. L'action ayant été intentée en 1998, celle-ci était prescrite depuis huit ans. Les demandeurs formèrent un pourvoi en cassation.
La question se posait ici de savoir si la prescription trentenaire est applicable à l'action en nullité d'un acte juridique à raison du dol dont il est entaché ?
Au terme de son contrôle en droit, en se prononçant par la cassation de l'arrêt d'appel, la Cour de cassation a estimé, au visa des articles 1304 et 2262 du Code civil, que « la prescription extinctive trentenaire de l'article 2262 du Code civil n'est pas applicable à l'action en nullité pour dol régie par le seul article 1304 du même code, sauf » rajoute la Cour « à priver d'effectivité l'exercice de l'action prévue par ce texte ». Dès lors, conclut la Cour, « l'arrêt a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application et le second par fausse application ».
Dans le cadre de ce commentaire, nous verrons que la solution nouvelle (il s'agit en effet d'un « revirement », v. CA Paris, 22 juill. 1853 inchangée depuis) retenue par la Cour de cassation (l'inapplicabilité de la prescription trentenaire à l'action en nullité pour dol) n'est pas dénuée d'arguments la justifiant (I). Cependant, il n'apparaissait pas possible de méconnaître une série d'arguments contraires a priori plus convaincants (II).
[...] Il s'agissait donc d'une nullité relative, d'ailleurs visée par l'article 1304. Aussi bien, et sauf à qualifier la nullité pour dol d'absolue ce qui l'exposait à la cassation, la Cour d'appel ne pouvait-elle pas appliquer l'article 2262 en lieu et place de l'article 1304 puisque, s'agissant d'une action en nullité relative pour dol, cette action était régie par les dispositions de l'article 1304. Par conséquent, la prescription n'avait pas commencé à courir depuis 1961, mais depuis 1998 (époque à laquelle le dol a semble-t-il été découvert, date du décès du conjoint survivant), et n'était pas non plus acquise en 1998 (elle n'allait l'être qu'en 2003). [...]
[...] Telle est l'explication proprement technique qui s'imposait, du moins dans une première phase de raisonnement (v. infra II). Pratiquement parlant, il convient de s'intéresser à la partie de l'attendu de la Cour de cassation par laquelle elle explique et justifie l'applicabilité exclusive de l'article 1304 du Code civil (cette manière de faire est rare pour être relevée, car par voie d'obiter dictum ; ce faisant, la Cour de cassation fournit à la communauté juridique et aux sujets de droit des obligations la raison de la décision, la ratio decidendi). [...]
[...] Cependant, aussi fondés que puissent paraître ces arguments, ils ne semblent pas dirimants lorsqu'on les confronte à des arguments contraires de même nature. II. Les obstacles à l'inapplicabilité absolue de la prescription trentenaire On reconduira ici la méthode d'analyse employée au I. Aussi bien, envisagerons-nous successivement les motifs techniques et pratiques justifiant l'applicabilité de l'article 2262. Techniquement parlant, la solution retenue par la Cour de cassation est contestable car elle ne prend pas en compte la nature particulière de l'article 2262. [...]
[...] L'analyse est d'ailleurs confirmée par la lettre du texte (v. infra pour une confirmation par l'esprit du texte) en ce que l'article 2262 dispose bien que Toutes les actions ( ) sont prescrites pas trente ans ( ) L'indicatif toutes montre s'il en était besoin la volonté du législateur de 1804 de borner toutes les actions, qu'elles soient personnelles comme une action en nullité pour dol ou qu'elles soient réelles (sauf l'action en revendication de propriété celle-ci étant constitutionnellement imprescriptible), comme l'action en délivrance de legs, dans une période de trente ans. [...]
[...] En définitive, le revirement (entre guillemets car la solution ancienne était l'œuvre des juges du fond) se veut porteur d'un souci de protection des intérêts particuliers conforme aux dispositions de l'article 1304, mais il s'effectue contre la lettre et l'esprit de l'article 2262, d'où il résulte des conséquences sans doute plus redoutables que les inconvénients que l'on voulait combattre. [...]
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