La décision que l'on va commenter est l'arrêt Bendeddouche rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 3 janvier 1980. Dans cette affaire, il est question de mariages polygamiques célébrés à l'étranger et des effets de tels mariages dans la dévolution successorale en cas d'époux défunt.
En l'espèce, le défunt, de nationalité algérienne s'était marié une première fois en Algérie avec une femme également de nationalité algérienne, union dont sont issus sept enfants. Il a acquis des immeubles en France, et repartant s'installer en Algérie, il épouse une seconde femme, de nationalité algérienne, avec qui il a deux enfants. Après le décès de cet époux, il y a litige sur la question de savoir si la seconde épouse et ses deux enfants peuvent venir à la succession des immeubles situés en France.
La Cour d'appel statue en décidant que la seconde épouse et ses enfants ont les mêmes droits reconnus de venir à la succession en tant qu'épouse et enfants légitimes. Le pourvoi y oppose la loi successorale française et l'exception d'ordre public international.
Il s'agit donc de savoir d'une part quelle est la loi applicable à l'établissement du lien de famille nécessaire dans la dévolution successorale, et d'autre part si le second mariage célébré dans un pays autorisant la polygamie est en opposition à la conception française de l'ordre public international.
Ainsi, nous verrons tout d'abord que la Cour de Cassation estime en l'espèce que la loi applicable au lien de famille est la loi personnelle des parties (I), pour ensuite étudier la notion d'ordre public international (II), pour se rendre compte que la Cour appliquera ici un ordre public atténué qui ne fait pas obstacle à l'application de la loi étrangère.
[...] Une telle initiative serait traductrice d'un arrêt de règlement, car ces principes seraient considérés comme énonçant une règle de droit. Or, l'article 5 du Code civil prohibe les arrêts de règlement, caractérisés par le fait de donner une solution à une question qui n'est pas encore posée, la solution donnée ne valant donc que pour l'avenir. La solution est ici dictée par les dispositions du Code civil relatives à la réserve : les droits des deux épouses ne pouvant s'exercer que sur la quotité disponible, elles devront se partager l'usufruit du quart, c'est-à-dire un huitième chacune. [...]
[...] A noter que dans sa réponse la Cour ne fait à aucun moment référence à la théorie des questions préalables évoquée dans le pourvoi, ce qui marque encore plus sa volonté de ne pas reconnaître ladite théorie et de ne pas lui faire produire d'effet dans l'ordre juridique français. Elle se contente de statuer directement sur la loi applicable à l'espèce pour qualifier l'état des personnes. Une détermination de la qualité des personnes qui dépend de la loi personnelle des parties en cause La Cour de cassation est amenée ici à se prononcer sur la frontière entre la loi successorale et celle qui régit l'établissement du lien familial. [...]
[...] Le juge fonde son raisonnement sur le principe énoncé par les arrêts Chemouni de la première Chambre civile de la Cour de cassation des 28 janvier 1958 et 19 février 1963 : le droit international privé français reconnaît la validité de certaines unions polygamiques sous réserve du respect de la règle de conflit applicable à l'espèce et de la non contrariété à l'ordre public. C'est là où le raisonnement de la Cour diverge de celui des parties : pour le pourvoi, peu importe le statut personnel et la régularité du statut matrimonial de la seconde épouse, la loi française ne reconnaît qu'une épouse légitime et n'admet parmi les ayants droit du défunt que cette épouse Donc seule la première épouse aurait vocation à succéder à l'époux défunt, ce n'est pas le mariage polygamique que le pourvoi souhaite voir reconnu contre l'ordre public, puisque célébré à l'étranger conformément à la loi compétente et reconnu par l'ordre juridique français, mais l'effet que l'on veut le voir produire. [...]
[...] Par exemple, la Cour admet l'indemnisation d'une concubine en cas de mort de son concubin, bien que celui-ci soit marié (Chambre criminelle 19 juin 1975), où qu'elle-même le soit (Cour d'appel de Paris 10 novembre 1976). Un arrêt de la Cour d'appel de Riom du 9 novembre 1978 a même admis le versement de dommages-intérêts à la veuve et la concubine d'un même homme mortellement blessé au cours d'un accident. Il semble donc logique au regard de cette tendance de la jurisprudence que la Cour de cassation affirme que les deux femmes et leurs enfants respectifs puisse venir concurremment à la succession du mari polygame sans être en conflit avec l'ordre public. [...]
[...] Car s'il règle le problème des questions de statut personnel qu'est susceptible de poser le droit successoral, se pose un problème d'adaptation entre droits français et droits étrangers : comment attribuer à deux ou plusieurs épouses des droits que notre loi attribue à une seule ? Pour résoudre cette question le juge a recours au droit comparé : il compare les institutions étrangères avec les institutions nationales et détermine si elles sont suffisamment proches pour se voir au même titre appliquer l'ordre juridique national. [...]
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