La réparation des dommages causés par des « choses » peut être assurée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er du Code civil, qui dispose qu'on « est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ». Cet article a longtemps été considéré comme n'ayant aucune portée juridique. C'est la Cour de cassation, dans l'arrêt Teffaine du 16 juin 1896, qui lui a donné son autonomie, sous l'influence de la doctrine.
Dans l'arrêt qui nous intéresse, une cliente dont l'identité n'a pas pu être établie a fait chuter, dans un magasin Continent en « libre service », une bouteille qui a éclaté au sol. Or, les éclats de verre ont blessé une autre cliente.
Cette dernière assigne en conséquence la société Continent en réparation du dommage subi. La Cour d'Appel de Caen, dans un arrêt du 14 septembre 1993, retient la responsabilité de la société Continent sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er du Code civil : la société est condamnée à réparation. Elle se pourvoit alors en cassation. Selon celle-ci, d'une part, un supermarché ne peut être tenu en qualité de commettant des faits d'une cliente tant qu'il n'est pas lié par un contrat de vente. Or, les juges du fond, en retenant que le magasin « investit chaque client d'une partie du rôle de vendeur », devenant ainsi responsable de leur attitude, sans établir quelconque lien de subordination, a violé l'article 1384, alinéa 1er du Code civil (...)
[...] En matière de responsabilité du fait des choses, la tâche de la victime dans l'établissement de la preuve est facilitée par la présomption qui pèse sur le propriétaire d'une chose : il est présumé avoir l'usage, la direction et le contrôle de la chose lui appartenant, donc en être le gardien (on peut citer, parmi de nombreux autres, l'arrêt de la 2ème Chambre civile, du 9 mai 1990 : le propriétaire d'un voilier, bien que formant une équipe avec d'autres marins en compétition, en reste le gardien et est tenu de réparer le dommage). Cette présomption peut néanmoins être écartée : le propriétaire de la chose devra prouver qu'au moment où le dommage a été causé, il n'en n'avait plus la garde, qu'elle avait été transférée. C'est ce qui est invoqué par le demandeur au pourvoi. Tout est question de preuve, et d'appréciation de celles-ci par les juges. [...]
[...] Mais la jurisprudence a montré que même une fois la vente effectuée, la garde de la chose pouvait encore incomber au magasin. Ainsi, dans un arrêt de la 2ème Chambre civile, du 21 octobre 1999, le magasin a été déclaré gardien d'une chose ayant occasionnée un dommage alors même que l'accident s'est produit au moment où deux employés aidaient l'acquéreur à charger l'objet acheté dans sa camionnette. La Cour de cassation a retenu que même si la vente des tôles avait déjà eu lieu, leur garde n'avait pas encore été transférée Ainsi, on peut remarquer que les différentes solutions retenues par la Cour de cassation sur le terrain de l'article 1384, alinéa 1er, dans le cadre de dommages survenus dans des locaux commerciaux, sont à la fois peu claire et peu uniforme (pourquoi le client serait gardien de son caddy, mais pas des objets qu'il manipule, ou qu'il met dans ce chariot Ces différentes décisions, jusqu'à celle qui nous intéresse plus particulièrement, montrent tout de même que le transfert de la garde des objets des commerçants aux clients est apprécié par les juges avec plus de prudence qu'en règle générale : à ce titre, la décision de condamner la société Continent semble justifiée. [...]
[...] Comme le souligne le professeur Patrice Jourdain, les circonstances étaient de toute façon trop indéterminées pour que l'on pût conclure à un transfert de garde à la cliente inconnue On est donc en présence ici d'un simple arrêt d'espèce, dont la portée est très limitée. [...]
[...] La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 28 février 1996, rejette le pourvoi. Les juges ne répondent pas au premier argument des demandeurs au pourvoi, basé sur la responsabilité des commettants pour le fait de leurs préposés, et s'appuient sur la partie responsabilité du fait des choses Selon eux, la manipulation d'un objet offert à la vente par une cliente ne suffit pas à lui transférer pour autant la garde de cette chose. [...]
[...] C'est ce que la Cour de cassation a admis dans un arrêt rendu en Chambre Réunies, le 2 décembre 1941 : le Dr Franck s'était fait voler sa voiture, or cette même voiture a plus tard dans la nuit, renversé et tué un individu. Le docteur ne peut être tenu à réparation du préjudice sur le fondement de la responsabilité du fait de la chose car, par l'effet du vol, il ne pouvait plus exercer quelconque surveillance sur celle-ci, et en avait donc perdu la direction, l'usage et le contrôle. [...]
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