La conception française de la nullité est particulière, dans le sens où un contrat n'est jamais nul de plein droit. Cette nullité ne pourra résulter que d'une décision judiciaire. Dans l'affaire qui nous intéresse, M. Lucas a acquis le 20 novembre 1981 à la SAGEP (Société anonyme de gestion de patrimoine), par un acte passé devant notaire, un lot d'immeubles en copropriété à rénover. Son objectif était de bénéficier d'avantages fiscaux. Cependant, il n'a jamais pu obtenir cette défiscalisation.
En 1992, il assigne le vendeur (la SAGEP), désormais en liquidation judiciaire, le syndicat des copropriétaires de la résidence en question, et le notaire, en nullité pour erreur ou en résolution de la vente. M. Lucas réclame par ailleurs des dommages et intérêts.
Il est débouté de ses prétentions en première instance, et décide alors d'interjeter appel. Malheureusement pour lui, la Cour d'Appel d'Orléans rend le 23 mars 1998 un arrêt confirmatif. Il forme alors un pourvoi en cassation, dont seul le premier moyen, découpé en deux branches, nous intéresse. Selon lui, tout d'abord, la cour d'appel a violé l'article 1110 du Code Civil en ne prononçant pas la nullité pour erreur alors qu'il apparaissait clairement qu'il ne s'était engagé que pour réaliser des économies fiscales, et que l'autre partie était au courant de ce motif. Ensuite, la cour d'appel aurait violé l'article 1116 en ne recherchant pas si la société SAGEP, en tant que professionnel de l'immobilier et spécialiste de la défiscalisation, n'avait pas manqué à son devoir de conseil en méconnaissant les prescriptions de la loi Malraux, censée permettre la défiscalisation.
La Cour de Cassation doit donc déterminer si l'erreur sur un motif déterminant mais extérieur à l'objet du contrat est une cause de nullité de celui-ci.
Dans un arrêt de la Première Chambre civile du 13 février 2001, la Cour de Cassation rejette le pourvoi. Elle considère en effet que l'erreur sur un motif extérieur à l'objet du contrat, même déterminant et connu de l'autre partie, n'est pas une cause de nullité de la convention, d'autant plus qu'aucune stipulation expresse n'érigeait cette déduction fiscale en condition du contrat. Par ailleurs, la cour d'appel n'a pas violé l'article 1116 puisqu'il n'est pas prouvé qu'à l'époque de la vente, la société SAGEP avait connaissance du risque de ne pas bénéficier des avantages fiscaux de la loi Malraux, et pouvait tout à fait l'ignorer (...)
[...] Pour autant, le juge ne va pas reconnaître le manquement au devoir de conseil, et va donc considérer que la société s'est faite surprendre par la loi, et que cela ne peut constituer une faute de sa part. C'est une solution d'autant plus surprenante qu'une semaine plus tard, dans un arrêt de la 3ème Chambre civile (21/02/2001), la Cour de Cassation va étendre ce devoir de conseil au notaire devant qui est passé l'acte de vente, destiné à assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels il a apporté son concours Le juge va justifier sa position par l'excusable méconnaissance de la société des évolutions législatives quant aux déductions fiscales de la loi Malraux. [...]
[...] Dans l'affaire qui nous intéresse, M. Lucas a acquis le 20 novembre 1981 à la SAGEP (Société anonyme de gestion de patrimoine), par un acte passé devant notaire, un lot d'immeubles en copropriété à rénover. Son objectif était de bénéficier d'avantages fiscaux. Cependant, il n'a jamais pu obtenir cette défiscalisation. En 1992, il assigne le vendeur (la SAGEP), désormais en liquidation judiciaire, le syndicat des copropriétaires de la résidence en question, et le notaire, en nullité pour erreur ou en résolution de la vente. [...]
[...] C'est pourquoi la Cour de Cassation n'a pu prononcer la nullité de la convention : elle se borne à le faire quand l'erreur porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet. Ainsi, pour que les juges de Cassation prennent l'objectif de défiscalisation de l'acheteur en compte, il aurait fallu une stipulation expresse dans le contrat le mentionnant. C'est déjà ce qui était prévu dans l'arrêt de 1942 évoqué auparavant : le motif extérieur à l'objet du contrat ne pouvait être pris en compte à moins que les parties aient été d'accord pour en faire la condition de leur traité Dans notre affaire, les juges de cassation estiment n'avoir pu prononcer la nullité faute d'une stipulation expresse qui aurait fait entrer ce motif dans le champ contractuel en l'érigeant en condition de ce contrat Cette exception a ensuite été reprise dans l'arrêt de la chambre commerciale du 30 mai 2006. [...]
[...] Les motifs personnels du contractant ne sont donc jamais pris en compte par la Cour de Cassation. Cette position va être réaffirmée dans un attendu de principe au sein d'un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation en date du 30 mai 2006. Ce principe admet néanmoins une exception. B. L'exception : Prise en compte du motif personnel du contractant en cas de conditions intégrées au contrat : Il est avéré dans cette affaire que la SAGEP connaissait le véritable objet de l'engagement de M. Lucas. [...]
[...] Il faut que s'y ajoute la constatation du caractère intentionnel du manquement, et que celui-ci ait provoqué une erreur déterminante. Or, en l'espèce, la Cour justifie qu'elle ne retient pas la violation de l'article 1116 car la société méconnaissait le risque de ne pas bénéficier des avantages fiscaux de la loi. Par une telle position, la Cour semble reconnaître l'existence d'aléas législatifs, en d'autres termes le fait que même un professionnel ne peut pas tout prévoir et a le droit de se tromper tant qu'il a conseillé son contractant en étant de bonne foi et en fonction des informations qu'il avait à ce moment là à sa disposition. [...]
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