« A priori, la loi française ne devrait pas avoir vocation à régir des infractions commises hors du territoire de la République » affirme Georges Levasseur, professeur honoraire à l'Université de droit, d'économie et de sciences sociales de Paris. Toutefois, cet auteur précise qu'il en va différemment si l'auteur de l'infraction est français « car il pourra manifester ses tendances fâcheuses à son retour en France ». Ainsi, il est notable que le droit pénal français, après avoir admis le principe de territorialité, a consacré des règles de compétence dite personnelle, règles qui ont été rassemblées, puis codifiées au sein du Nouveau Code Pénal (NCP).
L'arrêt de l'espèce a été rendu par la 9ème chambre B de la Cour d'appel de Paris le 30 mai 2002.
Un individu X et deux sociétés concluent en France une convention avec un sujet de droit Y, en vue de la création d'une tierce société en Thaïlande, laquelle convention consistait pour l'une des sociétés à verser des fonds à Y, lesquels ont été ensuite détournés par lui en Thaïlande.
X ainsi que les deux sociétés se sont constituées parties civiles en déposant plainte contre Y pour « abus de confiance », entre les mains du Doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris.
Le jugement de première instance a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par Y, mettant en avant le fait que d'une part ni la victime ni l'auteur de l'infraction, « qui sont des personnes morales », n'étaient français, et d'autre part qu'il n'était pas démontré que le fait incriminé sous la qualification d'« abus de confiance » était pénalement sanctionné en Thaïlande.
Les parties civiles interjettent appel de cette décision, faisant valoir que deux des parties civiles sont de nationalité française, que la convention litigieuse a été négociée puis conclue en France, et qu'enfin le Code pénal du Royaume de Thaïlande punit le délit d'abus de confiance. Elles affirment donc que la loi pénale française trouve pleinement vocation à s'appliquer à ce litige.
La Cour d'appel souscrit à l'argumentation des premiers juges. Elle rend donc un arrêt confirmatif, réaffirmant la non-application de la loi française aux faits incriminés, dont il résulte l'incompétence des juges du fond « pour connaître de la procédure pénale engagée contre » Y.
Sur le fond, la question de droit que les juges de première comme de deuxième instance ont eu à trancher est la suivante : la loi pénale française a-t-elle vocation à s'appliquer à un litige relatif au détournement, à l'étranger, de biens obtenus en exécution d'une convention conclue en France ?
Le problème de l'application de la loi pénale dans l'espace n'est pas tranché, en témoigne les évolutions jurisprudentielles qu'à connu la matière. Par conséquent, pour des faits identiques, des arguments contraires, tout à fait valables juridiquement, peuvent s'opposer, laissant place à l'interprétation, stricte mais inévitablement présente, du juge pénal.
Il conviendra donc dans un premier temps de constater que même si les juges du fond sont restés intransigeants sur la non-applicabilité de la loi pénale française aux faits de l'espèce, les ambitions des parties civiles n'étaient pas pour autant dénuées de tout fondement juridique, loin de là.
Puis, dans un deuxième temps, il importera de mettre en évidence les fondements de la décision de la Cour d'appel, et de constater qu'elle se situe en rupture avec la jurisprudence alors en vigueur.
L'arrêt des juges d'appel a affirmé l'inapplicabilité de la loi pénale française aux faits incriminés, rejetant ainsi les demandes, pourtant loin d'être infondées, des parties civiles.
[...] Puis, dans un deuxième temps, il importera de mettre en évidence les fondements de la décision de la Cour d'appel, et de constater qu'elle se situe en rupture avec la jurisprudence alors en vigueur. L'arrêt des juges d'appel a affirmé l'inapplicabilité de la loi pénale française aux faits incriminés, rejetant ainsi les demandes, pourtant loin d'être infondées, des parties civiles. D'une applicabilité envisageable de la loi pénale française, à sa mise à l'écart par les juges du fond Les ambitions des parties civiles semblaient juridiquement fondées, mais les arguments avancés n'ont pas convaincu les juges du fond. [...]
[...] Or, en l'espèce, il ne semble pas que ce soit l'ordre public français qui soit touché, puisque seule la signature de la convention est intervenue en France, laquelle convention n'était ni illégale, ni un fait constitutif de l'infraction (comme l'a affirmé la Cour d'appel). Il paraît donc cohérent que ce soit les juridictions thaïlandaises qui soient compétentes pour connaître de ce litige, car c'est sur leur sol que s'est consommée l'infraction d'abus de confiance. [...]
[...] Le détournement constitutif d'un abus de confiance étant incriminé par le Code pénal thaïlandais, la condition de fond est en l'espèce remplie. La deuxième condition est une condition de forme : l'article 113-8 du Code pénal dispose que dans les cas prévus aux articles 113-7 et 113-6 (ce sont les articles qui fondent la compétence de la loi française sur la personnalité de l'infracteur), la poursuite des délits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public (exigence réaffirmée à l'article 1er du Code de procédure pénale), et qu' elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit Or, en l'espèce, certes les appelants se sont constitués parties civiles en déposant plainte, mais la poursuite contre Jean-Paul R. [...]
[...] En effet, la juridiction suprême avait écarté l'applicabilité de la loi française dans l'hypothèse d'agissements frauduleux commis à l'étranger, mais en exécution d'une convention conclue en France : la Cour de cassation considérait en effet qu'une telle convention représentait certes une condition préalable à la commission de l'infraction, mais qu'en aucun cas elle ne pouvait constituer un fait constitutif de cette infraction (pareillement, cet théorie de la condition préalable sera explicitée dans une deuxième partie). Il conviendra, dans une deuxième partie, d'analyser les fondements de la décision de la Cour d'appel de Paris, pour ensuite constater qu'elle est en rupture avec la tendance jurisprudentielle qui était jusqu'ici dominante. II/ Les fondements d'une décision en rupture avec la tendance jurisprudentielle dominante Un certain nombre de conditions doivent être remplies pour que la loi française ait vocation à s'appliquer. La Cour d'appel a constaté que ce n'était pas le cas en l'espèce. [...]
[...] Les parties civiles ayant interjeté appel, les juges du fond ont de nouveau eu à se prononcer sur la question. Par cet arrêt, la Cour d'appel de Paris souscrit à l'argumentation des juges de première instance, et aboutit aux mêmes conclusions : l'inapplicabilité de la loi française aux faits incriminés, et par suite, l'incompétence des juridictions françaises pour connaître de la procédure pénale engagée contre Jean-Paul R. (dit Y). Dans son argumentation, la Cour d'appel retient qu'aucun des faits constitutifs du délit d'abus de confiance imputé à Jean-Paul R. [...]
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