« A la question de savoir si le banquier a du cœur, il faut également se poser celle de savoir si l'emprunteur à un cerveau.» Cette parole du professeur Mekki parait résumer, certes d'une manière assez caricaturale, la difficulté apportée par le contentieux autour de la responsabilité du banquier.
La chambre mixte de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 29 juin 2007, a essayé de finaliser le rapprochement des jurisprudences de la chambre commerciale et de la 1ère chambre civile, tout en faisant évoluer les solutions déjà apportées sur ce sujet. En l'espèce, un couple avait souscrit un prêt pour l'achat d'un fonds de commerce. C'est le mari qui allait jouir de ce fonds et bénéficier de la qualité de commerçant, l'épouse étant institutrice. A la suite d'échéances demeurées impayées, la déchéance du terme avait été prononcée et la banque avait déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de l'époux et poursuivit la saisie des rémunérations de l'épouse pour les sommes restant dues. Dès lors, cette dernière a opposé le manquement de la banque à ses propres obligations d'information des risques qu'elle avait pu encourir alors qu'elle était institutrice et n'avait jamais eu d'activité commerciale.
Le tribunal de grande instance dans sa décision du 18 décembre 2000 et la Cour d'appel d'Aix-en-Provence dans l'arrêt en date du 28 juin 2005, ont rejeté sa demande en retenant que les coemprunteurs (le mari et son épouse) étaient en mesure d'appréhender, compte tenu de l'expérience du mari, la nature et les risques de l'opération dans laquelle ils se lançaient, la banque, qui n'avait pas à s'immiscer dans les affaires de ses clients et ne possédait pas d'information que ceux-ci auraient ignorée, n'ayant aucun de devoir de conseil ou d'information envers eux. Cette décision était en accord avec la théorie de l'asymétrie qui était appliquée par la chambre commerciale. L'épouse se pourvoit en cassation pour manque de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, en se prévalant du fait que la banque n'avait pas recherché si elle était un emprunteur « averti ». Elle fait valoir qu'elle est fonctionnaire de l'éducation nationale, sans activité artisanale ou commerciale et étrangère à l'exploitation du fonds de commerce, ce que la banque reconnaît, et soutient que cette dernière avait envers elle un devoir de mise en garde et d'alerte sur les risques encourus.
Le problème posé à la Cour de Cassation était celui de savoir quelles étaient les conséquences de la distinction entre emprunteurs avertis ou non-avertis, sur les obligations du banquier. Les juges décidèrent qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si l'épouse était non avertie et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la banque justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'épouse et des risques d'endettement né de l‘octroi des prêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. L'arrêt de la Cour d' appel est donc cassé et annulé.
Il est important de constater que la Cour de Cassation accepte l'idée que le coemprunteur à un crédit puisse être non averti alors même que l'emprunteur, lui, est considéré comme averti (I). C'est à l'aide de cette « summa divisio », emprunteur averti ou non averti, que la Cour de Cassation fait apparaître des obligations à l'encontre du banquier dispensateur de crédit (II).
[...] La banque doit donc avertir les emprunteurs des risques encourus par l'opération financière qui est prévue. Rappelons, qu ne s'agit pas d'un devoir de conseil, car dans ce cas la banque aurait l'obligation de refuser un prêt si les risques de l'endettement était trop fort. Dans le contexte actuel de la crise des subprimes, notons que l'obligation pour le banquier de refuser un prêt trop risqué, aurait permis aux Etats-Unis d'échapper à une crise, dont la cause est l'octroi de nombreux crédits très risqués sans aucune appréhension objective des capacités de remboursement de l'emprunteur. [...]
[...] De plus, avec l'obligation de mettre en garde, donc d'alerter l'emprunteur, ce dernier peut lui aussi éprouver plus de réticences à se mettre dans une situation très inconfortable. La crise américaine ayant été révélée au monde en février 2007, la réunion de la chambre mixte en juin 2007, pour clarifier la jurisprudence sur le sujet en question, n'aurait-elle pas été commandé par un désir de s'assurer que les banquiers prennent garde à ne pas trop accorder de crédits trop risqués. [...]
[...] Ces deux solutions sont encore bien loin de celle énoncée par l'arrêt du 29 juin 2007. Ici, si l'emprunteur était non-averti la banque était tenue d'un devoir de mise en garde, et apparemment non, quand l'emprunteur serait averti. Mais on ne peut pas dire, pour autant que cet arrêt effectue un revirement de la jurisprudence. En effet, les deux chambres avaient fait évoluer leur jurisprudence pour arriver à une solution qui se rapprochait de plus en plus. Dans deux arrêts du 12 juillet 2005, la première chambre civile note que manque à son devoir de mise en garde, la banque qui, n'ayant pas vérifié les capacités financières d'emprunteurs profanes, accorde à ceux-ci un prêt excessif au regard de leurs facultés contributives ; ensuite que l'emprunteur averti ne peut faire grief à la banque de lui avoir accordé le prêt qu'il a lui-même sollicité, dès lors qu'il ne prétend pas que celle-ci aurait eu sur sa situation financière des renseignements que lui-même avait ignorés L'analyse de l'arrêt du 3 mai 2006, apporte aussi des précisions sur la solution choisie par la Chambre mixte le 29 juin Le co-emprunteur non averti Dans son arrêt du 3 mai 2006, la chambre commerciale s'aligne sur la nouvelle jurisprudence de la première chambre civile. [...]
[...] C'est donc au banquier d'apporter la preuve qu'il s'est effectivement renseigné sur la situation de l'emprunteur et l'a alerté des probables difficultés ou risques. Selon Richard Routier, la solution était prévisible, car c'est aux professionnels légalement ou contractuellement tenus d'une obligation particulière d'information, qu'il revient d'apporter la preuve de l'exécution de leur obligation, cette preuve pouvant être rapportée par tout moyen Nous avons remarqué que l'arrêt de la chambre mixte, du 29 juin 2007, n'effectuait aucun revirement de jurisprudence, mais ne faisait que la faire évoluer, dans le sens où il ressort de l'arrêt une interprétation claire du litige en question, sur laquelle la chambre commerciale et la première chambre civile devront s'appuyer. [...]
[...] Le devoir de mise en garde du banquier envers l'emprunteur non averti Ce devoir de mise en garde est imposé par la Cour de cassation quand l'emprunteur est qualifié de non averti Il comporte plusieurs obligations à la charge du banquier Cette responsabilité implique aussi que le banquier ait le devoir de prouver qu avait satisfait à son obligation Nécessité de s'informer et d'alerter l'emprunteur A travers la jurisprudence antérieure et l'arrêt du 29 juin 2007, nous pouvons constater que le devoir de mise en garde comporte trois branches : le devoir de s'informer, celui d'alerter l'emprunteur, et le devoir d'accorder un crédit adapté. Le banquier est déjà tenu depuis longtemps par un devoir de discernement. C'est dans l'arrêt de 2005, précédemment cité, que la première chambre civile rapproche celui-ci au devoir de mise en garde et à l'obligation pour le banquier de s'informer. Mais s'informer de quoi et par quels moyens ? [...]
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