Cet arrêt de cassation de la Chambre commerciale, rendu le 24 octobre 2000, au visa de l‘article 32 alinéa 2 du décret-loi de 1935 (C. monét. fin., art 131-35), éclaire une notion essentielle en droit bancaire: l'utilisation frauduleuse du chèque, introduite par la loi du 30 décembre 1991 et ouvrant droit à opposition au paiement. En l'espèce, un particulier donne mandat à un importateur d'acheter pour son compte un véhicule. Le professionnel exige la remise d'un chèque avant livraison de la chose commandée. Le mandant s'exécute; le professionnel porte immédiatement le chèque à sa banque pour encaissement. Le tireur, non livré, fait opposition. L'importateur est mis en liquidation judiciaire; la banque saisit le juge des référés afin de mainlevée de l'opposition au paiement du chèque.
Dans un arrêt du 5 septembre 1997, la Cour d'appel d'Amiens ordonne la mainlevée de l'opposition. Elle juge que la remise du chèque à sa banque par son bénéficiaire pour encaissement sur son propre compte constitue une utilisation normale malgré l'absence de remise de la chose vendue et l'ouverture d'une instruction pénale. Pour les juges du fond, la qualification d'utilisation frauduleuse s'applique au seul emploi du chèque et non aux circonstances de la remise. Le tireur se pourvoit en cassation. La question de droit posée aux juges est la suivante: l'obtention d'un chèque par des manœuvres frauduleuses rend-elle son utilisation frauduleuse ? Dit autrement, les relations contractuelles extra-cambiaires sont-elles susceptibles d'influencer le droit au paiement du chèque ?
[...] La jurisprudence assure l'exacte effectivité de ces dispositions. Elle affirme régulièrement que le chèque donne droit au paiement sans condition pour son bénéficiaire, le transfert de provision s'effectuant lors de l'émission du chèque; c'est-à-dire au moment de sa création et de sa mise en circulation (Com décembre 1990). 2-Des cas d'opposition strictement appréciés Parce que l'opposition heurte deux principes importants du droit du chèque, - le transfert immédiat de la propriété de la provision et le mandat irrévocable de payer conféré au tiré- le législateur interdit au tireur, en règle générale, de faire opposition au paiement d'un chèque et ne lui offre cette faculté qu'au titre d'exceptions limitativement énumérées. [...]
[...] 2-Une démarche principalement protectrice Malgré une motivation succincte, plusieurs arguments peuvent être avancés, afin de comprendre la décision retenue. L'adage Fraus omnia corrumpit permettrait d'éclairer la décision des Hauts magistrats. L'obtention du chèque par des manœuvres frauduleuses en amont aurait pour effet de corrompre l'ensemble des opérations qui en résultent. L'utilisation du chèque, en bout de chaîne, est alors nécessairement entachée par la qualité initiale de la remise. Dès lors, la qualification retenue pour l'obtention, frauduleuse, emporte une qualification similaire quant à l'utilisation. La solution de la Cour reposerait également sur une démarche téléologique. [...]
[...] De tels faits, s‘ils étaient établis, constitueraient une fraude à la fois pour l'obtention et l'utilisation du chèque Ainsi, pour les juges du droit, il est clair que l'utilisation frauduleuse du chèque peut résulter de son obtention frauduleuse. La Cour de cassation renvoie les parties devant la Cour d'appel de Douai. Si la décision de la Haute Cour ne permet pas de préjuger de la solution que retiendront les juges du fond, il est raisonnable de penser que ces derniers rechercheront les faits susceptibles de caractériser, ou non, l'obtention frauduleuse du chèque. [...]
[...] controverse doctrinale: une apparente incohérence jurisprudentielle au regard du traitement de l'abus de confiance La controverse naît de la comparaison de l'arrêt Olgard avec un arrêt du même jour, Sté Hesnault c/Dapharm et BNP. La Chambre commerciale juge que le paiement d'un chèque même remis à titre de garantie ne peut être subordonné à la réalisation d'une condition. Par conséquent, sa remise immédiate à l'encaissement ne constitue pas une utilisation frauduleuse. La Haute Cour réaffirme nettement une position ancienne et majoritaire parmi les cours d'appel. (Cass. com nov. [...]
[...] C'est cette théorie que la Chambre commerciale de la Cour de cassation entérine dans cet arrêt du 24 octobre 2000, qui précise utilement la notion d'utilisation frauduleuse. Un compromis satisfaisant entre sanction de la fraude et principe d'irrévocabilité du chèque A la lecture de l'arrêt, il ressort clairement que si les relations extra-cambiaires entre tireur et bénéficiaire doivent être considérées pour apprécier la fraude, ce n'est qu'à certaines conditions. Le bénéficiaire doit avoir commis un acte suffisamment grave pour qu‘il puisse être fait échec au caractère essentiel du chèque comme instrument de paiement à vue. [...]
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