La question de l'indépendance des rapports fondamentaux (lien de droit commun) et cambiaires (nés de la lettre de change) fait l'objet de nombreux débats. Ces rapports servent tous les deux de garantie au paiement de lettres de change, l'un découlant parfois de l'autre. Tout laisse à croire qu'ils sont par principe dépendants, que la chute de l'un entraîne la chute de l'autre.
L'arrêt à commenter, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 janvier 2001, offre un aperçu de ce débat en posant un principe d'indépendance des deux rapports, appliqué à l'hypothèse d'une signature d'acceptation falsifiée.
En l'espèce, la société Sobrefi (ci-après nommée le porteur) a tiré deux lettres de change sur M. BARGAIN (ci-après nommé le tiré). Ces effets de commerce étaient à échéance du 30 avril et du 30 mai 1994. Sur les traites figurent l'acceptation (s'obliger à payer la lettre de change à l'échéance – ce qui crée, sur la tête du tiré, un engagement cambiaire), que ce même tiré conteste avoir acceptée. A l'échéance des lettres de change, le tiré refuse d'en payer le montant, sous motif que le matériel agricole, objet de la traite, avait déjà été réglé.
Par un arrêt en date du 21 mai 1997, la Cour d'appel de Rennes condamne le tiré de payer au porteur le montant des lettres de change ajustées des taux d'intérêts légaux y afférant, à compter de leur date d'échéance réciproque. Le tiré est également condamné à payer des frais et taxes d'impayés.
Le 16 janvier 2001, le tiré intente un pourvoi en cassation et conteste devant la Haute Juridiction les mentions d'acceptation des lettres de change. Selon lui, la falsification de l'acceptation doit faire échec à la demande de paiement, d'autant plus que la preuve de la provision (soit la créance de somme d'argent possédée par le tireur contre le tiré) à l'échéance n'est pas rapportée par le porteur, sur qui pèse la charge de la preuve.
Le 16 janvier 2001, les juges du droit ont dû déterminer dans quelle mesure la falsification des mentions d'une acceptation peut faire échec à la garantie de paiement née du rapport fondamental que constitue la provision.
La Cour de cassation pose, à travers l'arrêt à commenter, un principe d'indépendance des relations fondamentale et cambiaire viciée, appliqué au cas d'une acceptation contrefaite. Les juges du droit ont condamné, par une position claire et ferme, le tiré à payer au porteur le montant des lettres de changes, ainsi que les intérêts de retard et frais et taxes d'impayés qui en découlent.
« Loin de détruire la créance antérieure, la créance nouvelle, de nature cambiaire, vient s'y adjoindre pour la renforcer ». Pour LESCOT et ROBLOT, la remise d'un effet de commerce n'emporte pas novation de l'obligation fondamentale. Elle survit et pourra réapparaître si le rapport cambiaire fait défaut. L'arrêt à commenter illustre bien cette vision selon laquelle, en l'absence de rapport cambiaire pour vice d'acceptation, la provision prend le relais et peut jouer pleinement son rôle de garantie de paiement ( I ). Par conséquent, l'argumentation du tiré, entièrement fondée sur le vice du rapport cambiaire, ne pouvait s'avérée efficace ( II ).
[...] Ce choix du tiré pouvait éventuellement avoir comme objectif de lui permettre d'invoquer l'équité des juges qui savaient que s'ils ne remettaient en cause l'obligation de payer du tiré, celui-ci se retrouverait sans arme face à ceux qui ont contrefait son acceptation. [...]
[...] Ultime condition au porteur pour faire valoir l'obligation de payer du tiré : rapporter la preuve de l'existence de la provision afin de faire produire, au rapport fondamental, son rôle de garantie de paiement Question de la charge de la preuve contournée par le principe d'appréciation souveraine des juges du fond posé par la Cour de cassation Comme l'a rappelé un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 4 juin 1991, la provision est transmise aux détenteurs légitimes successifs de la traite en même temps que le titre et c'est le dernier porteur qui acquiert un droit exclusif sur cette créance à l'échéance. Cet arrêt à la différence de la jurisprudence antérieure ne distingue pas les cas d'acceptation des cas d'absence ou de refus d'acceptation. Cette décision doit donc être mise en parallèle de l'affaire à commenter. Ainsi, le porteur, en l'espèce la Banque populaire de l'Ouest, peut être considérée comme créancière du tiré à l'égard de la provision si celle-ci est démontrée. C'est donc entre ces deux protagonistes que se joue la question de la preuve de la provision. [...]
[...] La Cour de cassation a donc posé un principe d'indifférence de la contrefaçon de la signature d'acceptation du tiré. Mais ce principe n'est pas d'une portée générale, il est conditionné par la volonté initiale du tiré d'utiliser un effet de commerce pour régler la provision en jeu L'existence de la provision comme compensation du vice d'acceptation du tiré La décision des juges du droit est explicite : la contrefaçon de la signature d'acceptation ne fait pas échec au paiement à l'échéance ; mais pour cela, encore faut-il que, faute de relation cambiaire entre le tiré et le porteur, survive un rapport fondamental. [...]
[...] La demande de vérification de signature ( A ) est jugée sans intérêt tandis que la question de la charge de la preuve posée par le tiré a pu être anticipée par les juges du droit ( B ) Demande de vérification de signature sans intérêt à l'égard de l'obligation de payer du tiré fondée sur le rapport fondamental La position de la Cour de cassation est dans la suite logique de son raisonnement : le paiement est dû, malgré l'éventuelle contrefaçon de la signature, si la preuve de la provision est rapportée. Le problème posé par la vérification d'écriture n'était donc, pour l'espèce à traiter, d'aucun intérêt. Cette solution fait écho à la tendance jurisprudentielle récente visant à atténuer l'effet de délai de grâce qu'induisent les expertises et vérifications d'écriture. [...]
[...] Cette justification n'est pas invoquée par le porteur qui, par ailleurs, ne conteste pas le faux. Tout tend à démontrer que de la réalité ou non de la signature d'acceptation ne dépend pas la solution du litige. Deux réflexions s'imposent. Premièrement, le tiré a fait une confusion essentielle entre les notions de mention facultative et de mention substantielle (dont les absences et défauts ont des effets radicalement différents sur la traite). Cette hypothèse est peu probable surtout au stade de la Haute Juridiction. [...]
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