La jurisprudence est "la parole vivante du droit" (P.Hébraud, "Le juge et la jurisprudence", in Mélange Couzinet, Toulouse, 1975, p. 363) dans la mesure où le juge doit trancher le litige qui lui est soumis en adaptant la règle de droit applicable aux circonstances. Par conséquent, comprise en son sens étroit la jurisprudence est l'ensemble des décisions de justice pendant une certaine période, soit dans une matière (jurisprudence immobilière), soit dans une branche du droit (jurisprudence civile, fiscale, soit dans l'ensemble du droit) (Vocabulaire juridique, Association Capitant). D'ores et déjà cette définition, technique, met en évidence le facteur temps dans la formation et l'évolution de la jurisprudence (S. Druffin-bricca et L.-C. Henry, Introduction générale au droit, éd Gualino, collection Mémentos, 2e éd 2005 p.123) avec la motivation et la hiérarchie. Le temps permet de consolider une solution posée par les tribunaux: elle est appliquée systématiquement aux cas similaires, il convient d'évoquer la notion de jurisprudence constante. Cependant, cette répétition reste précaire car dans le système français, le juge n'est pas tenu par le précédent et toute solution, même constante peut être remise en cause par un revirement de jurisprudence. Interprète de la loi, le juge n'est pas lié par les décisions antérieures. Mieux, il doit adapter la jurisprudence aux évolutions économiques et sociales (G. Canivet et N. Molfessis, "les revirements de jurisprudence vaudront-ils pour l'avenir?", JCP G.2004.I.189). "Il y a revirement de jurisprudence chaque foi que la Cour [de cassation], à propos d'une affaire, varie dans l'interprétation de la loi qu'elle retenait jusqu'alors" (G. Canivet, JCP G.2004.I.189 préc.). La référence à l'interprétation de la loi par le juge énonce à la fois la fonction essentielle du juge, mais souligne aussi le caractère déclaratif de la jurisprudence qui interprète la loi c'est-à-dire lui donne le sens qu'elle est supposée toujours avoir eu. On a pu écrire que le juge révèle le droit en le jugeant (F. Zenati, La jurisprudence, Dalloz méthodes du droit, 1991, p.154; T. Bonneau, "Remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement", D. 1995. Chron.24). Par assimilation que certains considèrent exagérée (F. Zenati, préc.), la jurisprudence est rapprochée d'une loi interprétative, elle serait "super-rétroactive" (Ph. Malaurie et P. Morvan, Introduction générale, éd. Defrénois 2003, n° 266, P. Morvan, art. préc. p.247). Par essence, le revirement est, comme la jurisprudence, rétroactif. Cependant, à la différence d'une loi interprétative, par définition la décision est enfermée dans l'effet relatif de l'autorité de chose jugée. La décision ne concerne normalement que les parties au litige. Par conséquent, les prévisions des parties fondées sur une jurisprudence, fut-elle constante, peuvent-elles êtres considérées comme légitimes? N'étant pas lié par les précédents, le juge reste libre d'opérer un revirement. En outre, s'il y a revirement c'est, par définition, que la solution antérieure, n'était pas satisfaisante (V. Heuzé, art. préc. n°13). La réponse à ces questions est directement liée à l'article 5 du Code civil qui interdit les arrêts de règlement et qui empêche la jurisprudence d'être une source de droit formelle. Elle n'est pas une norme assimilable à la loi. Il y a une différence essentielle entre la rétroactivité de la loi et celle de la jurisprudence. Dans le cadre de la loi, il y a une véritable rétroactivité car elle dépend d'une volonté délibérée. Il n'en va pas de même pour la jurisprudence. En présence d'un revirement, ce dernier s'applique aux faits par définition antérieurs qui sont à l'origine de la décision. Toutefois, l'interdiction des arrêts de règlement empêche l'application du revirement comme l'application d'une nouvelle norme de portée générale. Par conséquent, derrière la discussion technique de la portée du revirement, c'est la nature de la jurisprudence, source contestée du droit qui est en débat. Admettre la notion de rétroactivité plutôt que de déclarativité de la jurisprudence suppose que l'on considère comme acquis le pouvoir créateur de la jurisprudence (JCP G.2005 act.43) ce qui reste pourtant discuté (V. Heuzé; art. préc. n°5). Vouloir corriger les inconvénients des revirements de jurisprudence en envisageant un revirement pour l'avenir revient à considérer que la jurisprudence est assimilable à une norme sur laquelle les parties pourraient fonder légitimement leurs prévisions et que la rétroactivité du revirement ne devrait pas leur imposer une insécurité juridique par nature injuste. Un tel postulat implique que la jurisprudence est une source du droit. Ainsi, étudier les revirements de jurisprudence suppose une réflexion sur le sens de la rétroactivité des revirements de jurisprudence (I) avant de s'interroger sur le sens du revirement pour l'avenir (II).
[...] L'aspect normatif de la jurisprudence est différent de celui de la loi (J. Héron, "l'infériorité technique de la norme jurisprudentielle", RRJ 1993.1083 Elle est dominée par le législateur. La meilleure preuve se trouve sans doute dans les revirements "provocateurs" destinés à faire réagir le législateur, soir par une consécration, soit par une censure de la jurisprudence (Civ. 2e juillet 1982, arrêt Desmares, Grands arrêts de la jurisprudence civile, t.2, Dalloz 2e éd. 205; arrêt "mères porteuses", Ass. Plén mai 1991, Bull civ. [...]
[...] Ce nouveau phénomène relance le débat sur la nature de la jurisprudence (Ph. Malaurie, "La jurisprudence combattue par la loi, la loi combattue par la jurisprudence", Defrénois 2005, art 38203, p. 1210). il n'en demeure pas moins que la jurisprudence ne procède pas d'une autorité habilitée. Même si elle est le fait de la Cour de cassation, elle trouve ses racines dans les décisions des juges du fond. En outre, en dehors des attendus de principe ciselés par la Cour de cassation, la jurisprudence reste dépendante du jugement qui lui donne naissance. [...]
[...] Cette position classique peut paraître choquante pour le médecin qui subit les conséquences d'une telle décision. Il est parfois difficile de vivre avec son temps et de pressentir les évolutions du droit 27 ans en avance. Certains ont dénoncé les conséquences de la prescription trentenaire du droit français (RTD civ obs. R. Libchaber) et ont estimé que la brutalité du revirement de jurisprudence fait naître des injustices. Le sort des médecins n'est pas le seul en cause. Parmi les revirements récents, d'autres peuvent être mis en exergue. [...]
[...] Par essence, le revirement est, comme la jurisprudence, rétroactif. Cependant, à la différence d'une loi interprétative, par définition la décision est enfermée dans l'effet relatif de l'autorité de chose jugée. La décision ne concerne normalement que les parties au litige. Par conséquent, les prévisions des parties fondées sur une jurisprudence, fut-elle constante, peuvent-elles êtres considérées comme légitimes? N'étant pas lié par les précédents, le juge reste libre d'opérer un revirement. En outre, s'il y a revirement c'est, par définition, que la solution antérieure, n'était pas satisfaisante (V. [...]
[...] La jurisprudence est donc par nature déclarative (t. Bonneau, art. préc. p.25, Fr. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz 2e éd n°453, p.388). Elle est liée à l'intervention du juge qui applique la loi qu'il interprète à des faits antérieurs à sa saisine. Certes, il peut en résulter un bouleversement, mais ce dernier n'existe que dans la mesure où les justiciables, satisfaits du revirement, saisissent eux-mêmes le juge pour qu'il leur applique la nouvelle jurisprudence. Par conséquent, les contrats de travail comportant une clause de non-concurrence sans contre-partie financière sont fragilisés par le revirement de jurisprudence du 10 juillet 2002 (Soc juillet 2002, arrêt préc.), mais il faut une action en justice pour constater l'annulation de la clause litigieuse. [...]
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