Pendant longtemps, dans le domaine des ouvrages publics, il était de coutume, selon un ancien arrêt du Conseil d'Etat, de dire qu'un ‘ouvrage public mal planté ne se détruit pas'. Cela signifie que, au cours d'une opération immobilière, si l'administration prend possession d'un terrain sans qu'un acte légal ne l'y autorise et n'y bâtit un ouvrage afin de satisfaire un intérêt général, cette possession devient irréversible, et le seul recours du propriétaire spolié est de faire un recours devant le juge judiciaire afin d'obtenir une indemnisation de dépossession. Ce mode de cession forcée que constitue le principe d'intangibilité des ouvrages publics pose ainsi de nombreuses questions et de nombreux débats, car il est indubitable qu'une telle prérogative de la puissance publique porte atteinte au droit fondamental et constitutionnel (Conseil Constitutionnel, 25 juillet 1989) qu'est le droit de propriété. Dans cette optique, il semble donc que le principe d'intangibilité contienne une contradiction intrinsèque entre le droit de propriété et la primauté de l'intérêt général, expliquant ainsi les nombreuses critiques qui se sont élevées à son encontre, que ce soit de la part de la doctrine ou du fait de l'influence de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Toutefois, si ce principe a persisté pendant plus d'un siècle, il a néanmoins été remis en cause récemment par des développements jurisprudentiels et législatifs. En effet, certains arrêts du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation, suivis et approfondis par une loi en 1995 ont semblé ôter au principe d'intangibilité toute sa substance, ce qui pour certains annoncent indubitablement l'abandon de ce principe en ce qui concerne la protection des ouvrages publics. Pourtant, certains éléments contredisent cette analyse, et il est donc de ce fait judicieux de se demander si le revirement récent de jurisprudence a bel et bien enterré le principe d'intangibilité ou si au contraire il n'a fait que l'aménager pour mieux le soutenir.
[...] Cela constitue donc plus un aménagement du principe de l'intangibilité plutôt qu'un abandon : l'expropriation indirecte n'est pas interdite, elle est juste déconseillée. De même, il est à noter que le fait même que l'ouvrage public serve un intérêt général ralentit considérablement la possibilité pour un juge de prononcer la modification ou la destruction de l'ouvrage : l'on peut citer en exemple la décision de la Cour de Cassation du 04 avril 2000 Bergeriaux, où malgré l'annulation de la déclaration d'utilité publique d'une opération d'expropriation, le terrain ne pouvait être restitué à ses propriétaires, car un ouvrage public y avait été construit. [...]
[...] Tout d'abord, il a été établi que le juge judiciaire pouvait contraindre l'administration à modifier ou détruire son ouvrage public dans le cas où les travaux sont encore en cours (Cour de Cass Civ janvier 1924). Trois autres exceptions au principe viennent compléter ce cas de figure : le cas des travaux mixtes où le juge judiciaire retrouve sa compétence de porter atteinte à un ouvrage public, les exécutions de conventions ou d'obligations de droit privé pour lesquelles la Cour de cassation s'autorise à ordonner des travaux susceptibles d'apporter une modification à l'ouvrage public quand il se rattache à une convention ou obligation de caractère privé et la troisième exception concerne les installations électriques : selon la loi du 15 juin 1906, le juge judiciaire peut ordonner en cas de voie de fait l'enlèvement d'un ouvrage public dans le cadre de la distribution d'énergie. [...]
[...] Or, le droit de propriété est un droit fondamental, inscrit dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, réitéré par le Conseil Constitutionnel et la Convention européenne des Droits de l'Homme, et le principe d'intangibilité y porte clairement atteinte, sans que l'administration ne puisse être portée responsable ou que la personne expropriée n'ait eu le droit à une procédure légale et juste. En effet, le versement de l'indemnité n'intervient qu'a posteriori, en même temps que le transfert de propriété, et elle n'intervient que si l'exproprié en fait la demande dans un recours auprès du juge judiciaire. [...]
[...] En effet, aucun arrêt, aucune décision judiciaire ou loi n'a explicitement abandonné le principe d'intangibilité, et il apparaît plutôt que ce principe ait fait l'objet d'un aménagement plutôt que d'une condamnation. Tout d'abord, il parait important de préciser que si la théorie de l'expropriation indirecte est mise en retrait dans la décision de la cour de cassation de 1994, ce n'est que de manière relative. En effet, le juge ici ne fait que poser un frein à l'expropriation indirecte, rappelant que celle-ci porte atteinte au respect du droit de propriété, et qu'elle doit rester marginale, c'est-à-dire n'être appliquée que dans des cas bien précis où il est impossible de restituer le bien exproprié en raison de la satisfaction de l'intérêt général. [...]
[...] Est donc ainsi posé le principe d'intangibilité, signifiant une interdiction pour un juge de prononcer la destruction ou la modification d'un ouvrage public sous le prétexte qu'il se situe sur une propriété privée. Cependant, ce principe reste relatif dans la mesure où ce principe ne s'applique qu'aux juridictions et aux administrés : en effet, l'administration est libre à tout moment de décider de détruire ou de disposer d'un ouvrage public. Ce principe d'intangibilité, réitéré à de nombreuses reprises par les différentes juridictions, se fonde sur plusieurs arguments, dont au final, la validité peut et est contestée. [...]
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