L'application de la jurisprudence dans le temps pose des difficultés particulières.
En effet, si l'article 2 du code civil dispose que «la loi n'a d'effet que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif», l'application de la loi par le juge qui constitue donc la jurisprudence est, elle, rétroactive. Ce constat et ses critiques ne sont pas récents puisque dès 1959 Pierre VOIRIN, au JCP 1959, les dénonçait.
Guy CANIVET, Premier Président de la Cour de Cassation, conscient de l'insécurité juridique que cette rétroactivité risque de créer, a commandé un rapport sur les revirements de jurisprudence. La commission ainsi créée, présidée par Nicolas MOLFESSIS et a remis son rapport le 30 novembre 2004 à Guy CANIVET.
Le Conseil d'Etat ne semble pas avoir attendu ce rapport pour appliquer une modulation de la jurisprudence. En effet, par un arrêt d'Assemblée du 11 mai 2004 « Association AC ! », ce qui permet de penser que cet arrêt est de principe, la Haute Juridiction administrative a modulé dans le temps les effets d'une annulation. Mais si ce principe vaut pour l'annulation des actes dans le temps, l'arrêt « Association AC ! » ne se prononce pas pour les revirements de jurisprudence.
En ce qui concerne la juridiction judiciaire, la Cour de Cassation a, par un arrêt de sa Deuxième Chambre Civile du 8 juillet 2004, ouvert aussi la possibilité de moduler les revirements de jurisprudence. Par ailleurs, cette jurisprudence a été « complétée » par un arrêt de la Chambre sociale du 17 décembre 2004. Le premier arrêt fait référence à l'article 6 de la CESDH, c'est-à-dire au droit à un procès équitable alors que le second en exclut son application du fait d'une impérieuse nécessité.
Enfin, les juges communautaire (la CJCE) et européen (la CEDH) procèdent eux aussi à une modulation dans le temps de leurs décisions. En effet, le juge communautaire en a la possibilité par l'article 231 du Traité CE en ce qui concerne l'annulation des règlements.
Mais elle procède aussi à une modulation dans le temps de ses décisions rendues en matière préjudicielle. La CEDH se réfère à la CJCE pour limiter aussi dans le temps les effets de sa jurisprudence.
Dans ce contexte, de quelle manière le juge, tant communautaire que national, module les effets des décisions qu'il rend ? Pour répondre à cette question, il convient d'analyser tout d'abord les sources du pouvoir de modulation du juge français (I), pour ensuite étudier la reconnaissance d'une dérogation au principe de rétroactivité et ses perspectives (II).
[...] Cette solution illustre seulement la volonté du juge administratif de clarifier, d'expliciter l'exécution de ses décisions. Le juge saisi d'un recours pour excès de pouvoir s'est également reconnu le pouvoir de s'affranchir de l'alternative qui le conduit soit à rejeter le recours soit à prononcer l'annulation de l'acte litigieux, qui créerait un vide juridique. Dans un arrêt du 25 mars 2002 Caisse d'assurance accidents agricole du Bas Rhin et autres un recours pour excès de pouvoir a été formé contre une ordonnance de codification du Code rural puisqu'une erreur matérielle entachait un renvoi d'article. [...]
[...] La Cour module également l'effet de ses décisions dans le temps en cas d'annulation d'autres actes communautaires en s'appuyant sur une interprétation extensive de l'article 231. Elle va au-delà de la lettre du traité. Ainsi s'agissant des directives (CJCE juillet 1992, Parlement Conseil du budget des communautés (CJCE juillet 1986, Conseil Parlement ou encore de décisions (CJCE mai 1998, Parlement Conseil En dehors du cadre du recours en annulation : D'autre part, la Cour a mis en œuvre l'article 231 en dehors du cadre du recours en annulation. [...]
[...] Dans le cadre du contentieux préjudiciel elle prend en considération les effets de sa décision sur les situations juridiques qui ont été constituées sous l'empire de l'acte dont elle a à connaître : la modulation est envisagée si son arrêt pourrait entraîner les troubles graves à l'égard de situations juridiques déjà constituées et établies de bonne foi (CJCE mars 1980, Salumi et Denkavit Italiana Plusieurs types de modulation sont possibles : la CJCE peut estimer que l'arrêt prend effet à la date où il est rendu, elle peut différer ces effets, ou encore priver de tout effet utile l'annulation en déclarant définitifs les effets des actes annulés. Dans le cas où l'effet de l'arrêt est reporté dans le temps, la Cour peut prévoir que des personnes qui, avant la date de l'arrêt ont engagé une action en justice où introduit une réclamation équivalente, bénéficie malgré tout d'un effet immédiat de la décision. Il s'agit de ne pas porter atteinte aux intérêts des personnes ayant engagé une action en temps utile. En outre, le revirement de jurisprudence doit profiter à celui qui l'a sollicité (v. [...]
[...] En effet, la décision Association AC consacre une forme de pouvoir de réformation du juge de l'excès de pouvoir car il prend désormais en considération des évènements postérieurs à l'intervention des actes attaqués et s'interroge sur les circonstances pour décider de pratiquer ou non à une modulation. Ainsi, il revient au juge d'évaluer les conséquences de la rétroactivité et les inconvénients qu'elle peut présenter lorsque l'acte est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produit et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets Cependant, la décision Association AC subordonne l'exercice du pouvoir de modulation à la réalisation d'un bilan entre principe de l égalité et principe de sécurité juridique. [...]
[...] Cette décision ne s'explique que par référence à une décision Louis rendue en sous-sections réunies, le 28 septembre 2005. Le considérant de principe de cette décision prévoyait que lorsque les dispositions législatives ou réglementaires organisent une procédure obligatoire de recours administratif préalable à l'intervention d'une juridiction, le respect de cette procédure s'impose à peine d'irrecevabilité du recours contentieux à toute personne justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour introduire ce recours contentieux La décision Leroy Merlin abandonne cette rédaction et cantonne au seul contentieux des décisions administratives ordinales la règle selon laquelle l'obligation de recours administratif préalable s'impose à toute partie intéressée, même non expressément visées par les textes. [...]
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