Le trouble provoqué par la loi étrangère dans un ordre juridique ne peut être évalué uniquement à l'aune de ses valeurs essentielles, il dépend également des liens que la situation entretient avec le for : « Plus ces liens sont étroits, plus énergique sera l'intervention de l'ordre public. S'ils sont très étroits, la réserve interviendra dans toute son étendue. Si ces liens existent, mais sont très lâches, la réserve n'interviendra qu'à l'encontre de résultats totalement inacceptables ». Selon cette théorie dite de « l'ordre public de proximité », l'intervention de l'ordre public ne doit ainsi pas dépendre du seul fait que la situation litigieuse ait été créée ou non à l'étranger, mais plutôt de l'existence d'une Inlandsbeziehung, que l'on peut définir comme « un ensemble de circonstances, appréciées au cas par cas, qui contribuent à rattacher au territoire du for une situation normalement régie par une loi étrangère, et à révéler ainsi l'atteinte à l'ordre public du for provoquée par cette loi étrangère ». Jusqu'à présent, la notion a toujours été utilisée dans un but bien précis : assurer à un Français domicilié en France la faculté de divorcer, garantir à l'enfant français ou résidant en France le droit d'établir sa filiation ou protéger les intérêts de la première épouse d'un homme polygame.
L'arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 10 mai 2006 s'inscrit dans le droit fil de ces décisions. Une femme de nationalité algérienne et résidant en Algérie a donné naissance à une fille au cours du mois de mai 2001. Un peu plus d'un an plus tard, en tant que représentante légale de sa fille, elle a assigné un individu en recherche de paternité naturelle devant les juridictions françaises. Sa demande a été accueillie par la Cour d'appel de Versailles qui, après avoir constaté que la loi applicable était la loi algérienne, c'est-à-dire la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, telle que désignée par l'article 311-14 du code civil, a décidé de faire intervenir l'exception d'ordre public en estimant que la loi désignée allait à l'encontre du principe d'égalité entre enfants légitime et naturel. La Cour de cassation devait ainsi se prononcer sur l'épineuse question de la compatibilité d'une loi étrangère avec l'ordre public international français. A deux mois de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, après une série d'arrêts ayant vigoureusement affirmé le principe d'égalité entre enfants légitime et naturel, on pouvait s'attendre à ce que le pourvoi soit rejeté. La Cour a pourtant cassé l'arrêt en affirmant « qu'une loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation naturelle n'est pas contraire à la conception française de l'ordre public international, dès lors qu'elle n'a pas pour effet de priver un enfant de nationalité française ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation ». La première Chambre civile a ainsi trouvé l'occasion de réaffirmer une règle déjà énoncée dans un célèbre arrêt rendu le 10 février 1993, et d'inscrire ainsi sa décision avec cohérence dans la continuité de la jurisprudence de droit international privé, en rompant avec la logique du droit interne. L'arrêt du 10 mai 2006 rappelle, si besoin en était, que l'ordre public comporte davantage de limites lorsqu'il est envisagé dans sa dimension internationale que dans sa dimension interne (I). Malgré sa sévérité apparente, la décision mérite d'autant plus d'être approuvée que d'autres mécanismes pourraient être utilisés afin de respecter davantage les conceptions étrangères tout en satisfaisant à l'intérêt supérieur de l'enfant (II).
[...] C'est ce qui explique que la Cour ait choisi de limiter le champ de l'exception aux enfants de nationalité française ou résidant en France. La fonction de sauvegarde du modèle familial a été compromise par le développement du pluralisme familial. Celui-ci a estompé les contours du modèle familial pour lui substituer un éventail de déclinaisons et rendre ainsi délicate l'opération de défense d'un modèle dont l'évidence et l'autorité ne sont plus acquises. L'émergence d'un ordre européen, notamment dans le champ familial, est encore loin d'être une réalité qui pourrait progressivement se substituer au modèle du for devenu évanescent. [...]
[...] Aussi, alors même qu'il ne cède pas à la pente de l'impérialisme des droits fondamentaux puisqu'il refuse l'établissement de la filiation au titre du principe d'égalité, l'ordre public participe d'un individualisme qui n'est pas étranger à la culture des droits de l'homme, mais qui, en revanche, est étranger au droit traditionnel de la famille. B - La résistance de la Cour à l'impérialisme des droits fondamentaux La question de savoir si le droit d'établir une filiation est un droit de l'homme est encore débattue en doctrine. Ceux qui contestent l'appartenance de ce droit au corpus des normes fondamentales accueillent cependant favorablement le tempérament apporté par les conditions de proximité, associé au jeu de l'ordre public. Celui-ci manifesterait le relativisme des valeurs protégées. Ce faisant, il trancherait avec l'essence universaliste des droits de l'homme. [...]
[...] Par ailleurs, parce qu'il ne se retrouve pas fréquemment en droit comparé, il ne permet pas de réaliser l'harmonie internationale des solutions. L'explication est d'autant plus plausible qu'elle s'inscrit dans le sens des évolutions récentes du droit interne de la filiation, lesquelles ont tendu à saper les bases du matriarcat sur lequel repose l'article 311-14 du code civil en déplaçant l'accent vers l'enfant et les liens qui conditionnent le déclenchement de l'ordre public atténué. La décision participe, en fait, plus généralement, d'une mutation dans la fonction de l'ordre public : en droit de la famille, l'ordre public international assume désormais davantage une fonction de protection individuelle qu'une fonction de direction et de sauvegarde d'un ordre familial. [...]
[...] Si ces liens existent, mais sont très lâches, la réserve n'interviendra qu'à l'encontre de résultats totalement inacceptables Selon cette théorie dite de l'ordre public de proximité l'intervention de l'ordre public ne doit ainsi pas dépendre du seul fait que la situation litigieuse ait été créée ou non à l'étranger, mais plutôt de l'existence d'une Inlandsbeziehung, que l'on peut définir comme un ensemble de circonstances, appréciées au cas par cas, qui contribuent à rattacher au territoire du for une situation normalement régie par une loi étrangère, et à révéler ainsi l'atteinte à l'ordre public du for provoquée par cette loi étrangère Jusqu'à présent, la notion a toujours été utilisée dans un but bien précis : assurer à un Français domicilié en France la faculté de divorcer, garantir à l'enfant français ou résidant en France le droit d'établir sa filiation ou protéger les intérêts de la première épouse d'un homme polygame. L'arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 10 mai 2006 s'inscrit dans le droit fil de ces décisions. Une femme de nationalité algérienne et résidant en Algérie a donné naissance à une fille au cours du mois de mai 2001. Un peu plus d'un an plus tard, en tant que représentante légale de sa fille, elle a assigné un individu en recherche de paternité naturelle devant les juridictions françaises. [...]
[...] Toutefois, une lecture plus attentive de ces arrêts révèle, derrière une adhésion par le discours à la rhétorique des droits de l'homme, de faibles répercussions sur l'issue des litiges et sur le droit. En effet, en dépit du revirement de jurisprudence qu'a constitué l'arrêt du 14 juin 2005, il y a été jugé que le retour automatique de l'enfant vers sa résidence habituelle commandé par le jeu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfant ne heurtait pas l'article 3 de la Convention des droits de l'enfant déclaré d'application directe. [...]
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