Le 3 février 2003, après dix ans d'enquête, le dossier du meurtre du petit Grégory Villemin est clos. Cette affaire, jamais élucidée, reste toujours aux yeux de l'opinion publique l'une des plus bouleversantes des dernières décennies. Jean-Michel Lambert, juge d'instruction chargé du dossier, en a été une figure clé. Multipliant inculpations et non-lieu, violant le secret d'instruction, et prenant peu de précautions afin de mener à bien la résolution du meurtre, il a même été qualifié de « mémorable funambule de la pensée » par d'autres juges. Une telle non maîtrise du dossier n'est toutefois pas unique en son genre et l'on peut constater dans d'autres affaires judiciaires les effets néfastes d'une jurisprudence de juges trop « émancipés » pour pouvoir correctement appliquer la loi. Cependant, la figure du juge acquiert de plus en plus d'indépendance aujourd'hui puisque c'est justement lui - constitutionnel, administratif, judiciaire ou autre - qui veille au fonctionnement des institutions tel qu'il a été défini par la Constitution de 1958. Un des fondements majeurs de ces institutions est le respect de la hiérarchie des normes.
Définie par G. Cornu comme l' « ensemble des composantes d'un système juridique (Constitution, loi, …) considéré dans leur coordination et fondé sur le principe selon lequel la norme d'un degré doit respecter et mettre en œuvre celle du degré supérieur ("pyramide des normes") », elle a été théorisée dans la première moitié du XXe siècle par le juriste austro américain Hans Kelsen, qui la considérait comme le « fondement de l'ordre juridique assurant la liaison cohérente des règles les unes aux autres ». Aujourd'hui en France, au sommet de la hiérarchie se trouve la norme juridique suprême, c'est-à-dire la Constitution de 1958, puis viennent respectivement les lois et les règlements. Ce schéma intègre aussi les traités et accords internationaux, qui se placent au-dessus des lois mais au-dessous de la Constitution (CE 30 octobre 1998, Sarran et Levacher ; C.cass. 2 juin 2000, Fraisse), ainsi que le droit communautaire, directement applicable en droit interne. Bien qu'en France le pouvoir judiciaire émane du pouvoir exécutif et soit indépendant du législatif, les juges n'en restent pas moins les « gardiens » des lois votées par le législateur. C'est eux qui, en tant que membres de juridictions chargés « du jugement des litiges » qu'on leur soumet, sont amenés à appliquer les lois et à contrôler leur validité (ou conformité) par rapport aux autres normes.
Dès lors, quel est le rôle du juge dans le cadre de la hiérarchie des normes en France ? Se contente-t-il, selon la conception kelsénienne, d'un simple contrôle de validité, ou procède-t-il à un contrôle plus élaboré, garantissant le respect total de la "pyramide" au sein de l'Etat? Quel rôle joue sa jurisprudence ? N'acquière-t-il pas un « pouvoir créateur » de droit en appliquant celui-ci selon sa propre interprétation ? L'« invention juridique » ne relativise-t-elle pas l'importance de la hiérarchie des normes, et ce d'autant plus si le juge choisit parfois de s'en détacher ? Dans quelle mesure, enfin, la hiérarchie des normes, face à l'« émancipation » du juge depuis 1958, a-t-elle commencé à être considérée par ce dernier plutôt comme un « principe d'organisation » de l'ordre juridique français que comme un fondement absolu auquel il ne peut déroger ?
Nous verrons que, bien que le juge soit aujourd'hui un garant du respect de la hiérarchie des normes et de l'Etat de droit (I.), il reste que son émancipation progressive, ainsi que le développement de sa jurisprudence et de son pouvoir « créateur » de droit ont conduit à relativiser la perception de la hiérarchie des normes comme système juridique « absolu » (II.).
[...] Paris : P.U.F Patrick COURBE. Introduction générale au droit. Paris : Dalloz Bruno PETIT. Introduction générale au droit. Grenoble : P.U.G François TERRE. Introduction générale au droit. [...]
[...] Mais, par son émancipation et le développement de son pouvoir créateur de droit, l'action du juge a relativisé l'importance absolue de la hiérarchie des normes A. Le développement de la jurisprudence du juge lui a fait acquérir un pouvoir d'« invention ou même de création de droit Quoique F. Terré qualifie la nouvelle interprétation de l'article 55 de la Constitution telle qu'elle a été faite dans le cadre des arrêts Cafés Jacques Vabre et Nicolo comme une lecture des plus divinatoires il n'en reste pas moins qu'elle porte en elle les signes d'un bouleversement de la place des institutions et de la hiérarchie des normes et donc aussi, de fait, du rôle du juge. [...]
[...] Que la loi émane du Parlement ou du gouvernement en France, le juge, s'il contrôle sa conformité aux autres normes, doit cependant toujours l'appliquer et il est déjà arrivé que la loi ait brisé sa jurisprudence. Dès lors, si le juge (qu'il soit judiciaire, constitutionnel ou administratif) est certes devenu un organe régulant les actions du législateur, il le fait en étant avant tout le gardien du bon fonctionnement des institutions définies par la Constitution de 1958 et fondées sur le respect du principe général de la hiérarchie des normes. Bibliographie Gérard CORNU. Vocabulaire juridique. [...]
[...] Le juge ne semble donc plus aujourd'hui totalement soumis au système de la hiérarchie des normes : c'est non seulement lui qui interprète la loi afin de trancher les litiges, mais c'est aussi lui qui depuis 1958, progressivement défini le contenu de cette hiérarchie. B . Ce qui a été à l'origine d'une nouvelle place conférée par le juge à la hiérarchie des normes dans l'ordre juridique français Le développement de la jurisprudence des juges en France, tout comme l'extension de leur pouvoir de contrôle des actions du législateur ont abouti à ce que la hiérarchie des normes en tant que telle soit moins, comme l'écrivait Kelsen, le fondement de l'ordre juridique mais plutôt, selon l'expression de P. [...]
[...] Le juge et la hiérarchie des normes Le 3 février 2003, après dix ans d'enquête, le dossier du meurtre du petit Grégory Villemin est clos. Cette affaire, jamais élucidée, reste toujours aux yeux de l'opinion publique l'une des plus bouleversantes des dernières décennies. Jean-Michel Lambert, juge d'instruction chargé du dossier, en a été une figure clé. Multipliant inculpations et non-lieu, violant le secret d'instruction, et prenant peu de précautions afin de mener à bien la résolution du meurtre, il a même été qualifié de mémorable funambule de la pensée par d'autres juges. [...]
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