L'existence de deux ordres de juridiction, expression française du principe de séparation des pouvoirs, selon les termes utilisés par le Conseil Constitutionnel dans sa décision Conseil de la Concurrence du 23 janvier 1987, explique la présence de deux juges distincts : le juge administratif et le juge judiciaire. L'administration française a dès lors deux juges et deux droits permettant de résoudre les litiges la concernant : un juge normal, juge de principe, le juge administratif qui applique le droit administratif et un juge d'exception, le juge judiciaire qui applique le droit privé.
La création de la fonction de juge administratif présente une double origine. En premier lieu, une origine monarchique puisque l'Ancien Régime en appelait dès 1641, avec l'Edit de Saint Germain à l'apparition d'un nouveau juge « qui défend au Parlement et autres Cours de justice de prendre à l'avenir connaissance des affaires de l'Etat et de l'administration. » En second lieu, une origine révolutionnaire avec les lois des 16 et 24 août 1790, lois de prohibition à l'encontre du juge judiciaire et le décret du 16 fructidor An III, qui instituent le principe de « l'administration-juge » illustré par l'adage : « juger l'administration, c'est encore faire acte d'administration ». Mais la volonté d'introduire un nouveau juge spécialisé dans « les affaires de l'administration » est surtout concrétisée grâce à la création du Conseil d'Etat (Constitution du 22 frimaire An VIII) puis des conseils de préfecture (Loi du 28 pluviose An VIII). Des précisions jurisprudentielles viennent ensuite confirmer la nécessité d'un juge spécifique à l'administration avec les arrêts Blanco (TC, 8 février 1873), qui reconnaît l'existence d'un juge administratif distinct du juge judiciaire, et Cadot (CE, 13 décembre 1889), qui érige la compétence de droit commun du Conseil d'Etat en premier ressort.
[...] Dès lors, aujourd'hui, l'existence d'un juge administratif permet-elle un meilleur fonctionnement de la justice ? Si la construction pragmatique de la fonction de juge administratif vise historiquement à renforcer son efficacité à l'égard de l'administration et des administrés des aménagements rendus nécessaires par les mutations les plus contemporaines permettraient cependant d'assurer un meilleur fonctionnement de la justice administrative (II). I La figure du juge administratif, fruit d'une évolution pragmatique destinée à renforcer son efficacité en adéquation avec des objectifs redéfinis L'évolution des fonctions du juge administratif vise à assurer une plus grande efficacité de son action les orientations les plus récentes marquent sa volonté d'être à la fois efficace dans sa protection de l'administration elle-même et des administrés A La construction pragmatique de la fonction de juge administratif Les multiples mutations organisationnelles des juridictions administratives ont permis une multiplication des juges susceptibles de résoudre les litiges tandis que la détermination toujours plus précise des compétences du juge administratif permet d'éviter un engorgement des prétoires Les réformes de la juridiction administrative : 1953 1987 Si la nécessité d'avoir un juge spécifique à l'administration possède une double origine, monarchique et historique, les pouvoirs de cette nouvelle instance ont été démultipliés notamment grâce aux réformes de 1953 et de 1987. [...]
[...] Elle est d'autant plus inopérante que le droit administratif contemporain intègre de plus en plus les intérêts des particuliers. Enfin, eu égard à la complexification croissante des mécanismes juridiques, les juristes s'accordent sur la nécessité de maintenir un juge spécifique à l'administration puisque, comme l'expliquait Maurice Hauriou : Le juge ordinaire n'est pas nécessairement un juge universel mais simplement un homme, qui connaît bien les conditions de commerce juridique de la vie ordinaire ; sorti de là, il peut se trouver dangereusement incompétent. [...]
[...] Sur le plan qualitatif, le procès administratif est dénoncé en raison du caractère non suspensif du recours administratif (CE juillet 1982, Huglo et autres). En outre, du fait de l'emprise constante du droit européen sur le droit français, de nouvelles interrogations ont émergé, surtout eu égard à l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) relative aux droit à un procès équitable Ces dispositions remettent en cause la double fonction consultative et contentieuse du juge administratif (mais surtout du Conseil d'Etat), héritée de la période napoléonienne. [...]
[...] Ainsi, dans l'arrêt d'assemblée Letisserand (CE novembre 1961), le juge administratif accepte-t-il pour la première fois l'indemnisation d'un préjudice moral. Dès lors, le juge administratif se concentre plus volontiers vers des objectifs d'indemnisation des administrés et se montre plus sévère envers l'administration. C'est ainsi le cas aujourd'hui en matière de responsabilité médicale Ass Bianchi), en matière de sanctions disciplinaires scolaires, militaires ou pénitentiaires (CE novembre 1992, Epoux Khérouaa et CE, Section février 1995, Hardouin et Marie) ou en matière d'actes de gouvernement désormais transformés en actes détachables Ass octobre 1993, Gouverneur de Hong Kong Royaume Uni d'Angleterre et d'Irlande du Nord). [...]
[...] B Des objectifs précisés : protection de l'administration et des administrés Pour comprendre si l'action du juge administratif est efficace, il convient de revenir sur les objectifs qui lui sont dévolus, la question de l'efficacité étant justement entendue comme la propension à réaliser ces objectifs Protection de l'administration Historiquement, l'institution de juges administratifs visait surtout à remettre en cause le poids local des gouverneurs civils. Il s'agissait donc pour l'administration de limiter leur pouvoir. Mais il s'agissait aussi et surtout de confier à l'administration le règlement des litiges la concernant. [...]
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