Depuis les années 1990 en France, l'impact auprès du public d'affaires telles que celle de la vache folle ou encore du sang contaminé semble témoigner d'un profond changement des mentalités. En effet, l'idée d'une augmentation générale des risques, qu'ils soient techniques, écologiques, sanitaires, médicaux ou encore alimentaires semble s'être solidement ancrée dans l'esprit de la population.
C'est l'idée que le sociologue allemand Ulrich BECK a développé dans son essai « La société du risque » en 1986 : peu à peu, nous passons d'une société industrielle centrée sur la répartition des richesses, à une société centrée sur la répartition du risque.
Le problème est que cette inquiétude de la société face aux nouveaux risques présente elle-même un danger : celui de conduire à la paralysie. En effet, « toute société qui ne reconnaîtrait pas la légitimité de la prise de risque et ne la favoriserait pas jusqu'à un certain point serait condamnée au déclin » (Claude HENRY, directeur de recherches au CNRS).
Pour éviter cette paralysie, il faut donc trouver un juste point d'équilibre : gérer le risque tout en laissant la porte ouverte au progrès. C'est cette idée que se propose de conceptualiser la notion de principe de précaution.
Le principe de précaution –vorsorgeprinzip- apparait en Allemagne dans les années 70 où il devient la norme phare des politiques environnementales, avant d'être largement repris par le droit international. Sa définition exacte n'est pas encore véritablement acquise, en raison des différentes traductions dont il fait l'objet : il se définit principalement par opposition à la prévention : « la précaution vise à limiter les risque encore hypothétiques ou potentiels, tandis que la prévention s'attache à contrôler les risques avérés » (P Kourilsky et G.Viney).
Mais s'il peut être un concept philosophique, ou même une maxime d'action des décideurs publics, le principe de précaution doit-il pour autant s'ériger en norme juridique ?
Si le principe de précaution inspire, ou figure aujourd'hui dans de nombreuses normes, sa valeur juridique en tant que principe autonome reste encore mal définie (I) ; pourtant la récente constitutionnalisation de ce principe lui permettrait de s'appliquer à l'ensemble du droit, ce qui laisse présager d'importantes évolutions contentieuses en la matière (II)
[...] Mais les personnes privées pourront-elles pour autant contrevenir aux lois au nom du principe de précaution ? Le principe de précaution comme justificatif de la désobéissance civile ? L'hypothèse semble difficilement acceptable. Pourtant une récente décision du tribunal correctionnel d'Orléans dans l'affaire des 49 faucheurs volontaires décembre 2005) semble avoir fait un pas en ce sens. En effet, ce jugement a relaxé des faucheurs de champs d'expérimentation d'organismes génétiquement modifiés au motif qu'ils avaient transgressé la loi par état de nécessité ce qui constitue selon le Code pénal une cause d'irresponsabilité totale. [...]
[...] Le principe de précaution comme moteur de l'action publique : la jurisprudence des juridictions administratives semble de plus en plus encline à admettre le principe de précaution comme un justificatif de l'action publique, en refusant de faire droit aux recours qui tentent d'obtenir l'annulation d'actes administratifs en arguant de l'absence de certitudes scientifiques, et ce dans des domaines très différents : c'est par exemple la cas de l'arrêt Mme Barbier rendu par le Conseil d'état le 21 avril 1997, qui a invoqué les précautions qui s'imposent en matière de protection de la santé publique pour avaliser une décision de suspension de mise sur le marché d'un dispositif médical. Inversement, un motif tiré de la violation du principe de précaution peut justifier l'annulation d'un acte administratif. C'est ce qu'a reconnu de manière très explicite l'arrêt du Conseil d'état du 25 septembre 1998, Association Greenpeace France, en annulant un arrêté d'inscription au catalogue des espèces et variétés cultivées en France de plusieurs espèces de maïs génétiquement modifiées : en cas d'absence de précaution de la part de l'autorité publique, les citoyens pourront donc la rappeler à son devoir. [...]
[...] C'est par exemple le cas de l'article L. 221-5 du code de la consommation qui prévoit qu'un produit ou un service pourra être retiré du marché par le ministre en charge de la consommation en cas de danger grave et immédiat L'émergence d'un véritable principe général du droit L'imprécision de la définition et du domaine d'application du principe de précaution a contribuée à nourrir une large controverse quand à sa valeur normative : si la jurisprudence communautaire semble l'avoir désormais érigé en principe général du droit, le juge national semble plus hésitant à franchir ce pas. [...]
[...] Quelques exemples jurisprudentiels semblent pouvoir apporter une ébauche de réponse à cette question. II. Un principe qui a vocation à irriguer l'ensemble du droit La précaution peut à l'avenir être amenée à devenir un principe essentiel, et incontournable du droit, tant en matière administrative que judiciaire. En effet, il a d'une part vocation à intervenir en amont : il constituera alors un justificatif de l'action tant publique que privée. D'autre part, en aval, les manquements à ce principe pourraient être invoqués pour engager la responsabilité des personnes fautives : c'est alors l'inaction qui serait sanctionnée. [...]
[...] Certains auteurs voient ainsi dans l'introduction du principe de précaution dans le droit français la consécration de la théorie du risque comme nouveau principe directeur de la responsabilité. Or cette évolution présente de nombreux risques, et en premier lieu celui de paralyser l'innovation, la création, voire même l'activité économique en faisant des chercheurs, des industriels et des autorités publiques qui les encouragent les responsables des risques inhérents à une société moderne et en constante évolution. Comme le souligne le rapport Viney-Kourilsky, Le législateur, l'autorité réglementaire et le juge peuvent faire du principe de précaution, le meilleur ou le pire des usages Le juge sera donc à l'avenir chargé d'un rôle important : celui de dégager une définition unitaire, et de faire une application raisonnée du principe de précaution. [...]
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