Même si la Cour européenne des Droits de l'Homme n'hésite plus, aujourd'hui, à étendre à d'autres qu'aux journalistes la protection privilégiée accordée à la liberté d'expression des « chiens de garde de la démocratie », elle n'oublie pas pour autant qu'ils sont les premiers à avoir mérité cette qualification d'excellence. Il est d'ailleurs particulièrement précieux qu'elle s'en souvienne au moment où se multiplient de troublants et tragiques assassinats de journalistes dans les pays membres du Conseil de l'Europe : Anna Politkovskaïa à Moscou le 7 octobre 2006, Hrant Dink à Istanbul le 19 janvier 2007. Il y a cependant journalisme et journalisme et les héros de la démocratie qui ont payé de leur sang et de leur vie le combat pour la liberté d'expression seraient peut-être bien étonnés de servir d'alibis aux menées mercantiles de certains de leurs lointains confrères. Il n'est pas tout à fait improbable que la Cour de Strasbourg commence à s'en rendre compte. Certains de ses arrêts récents se refusent en effet à caresser dans le sens du poil certains chiens de garde qui accordent une priorité trop aguicheuse au « choc des photos ». Dans l'affaire Dupuis et autres c/ France du 7 juin 2007, les journalistes qui se plaignaient d'une atteinte disproportionnée à leur droit à la liberté d'expression accordaient au contraire une importance renforcée au « poids des mots » puisqu'il s'agissait de journalistes d'investigation dont l'activité se distingue par la durée du travail qu'ils peuvent consacrer à un même sujet. En l'espèce, MM. Jérôme Dupuis et Jean-Marie Pontaut avaient publié non pas un article mais un livre intitulé « Les oreilles du Président » qui décrivait le fonctionnement du système d'écoutes téléphoniques mis en place à l'Elysée dans les premières années de la présidence de François Mitterrand. Gravement mis en cause par cette enquête journalistique, le directeur adjoint du cabinet du président de la République, constatant que l'ouvrage de M.M. Dupuis et Pontaut reproduisait des déclarations faites devant le magistrat instructeur et les fac-similés d'écoutes identiques aux documents figurant en procédure, avait répliqué en déposant contre eux une plainte avec constitution de partie civile qui devait aboutir à leur condamnation définitive à 5000 francs d'amende pour recel de violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel. Le journalisme d'investigation ayant conquis ses lettres de noblesse et reçu son brevet de sauvetage de la démocratie grâce à la contribution décisive de Bob Woodward et de Carl Bernstein au dévoilement du scandale du Watergate, on ne s'étonnera pas de ce que, dans une affaire relative à l'un des plus grands scandales politiques - sinon le plus grand - de l'histoire de la Vème République, la cour européenne ait constaté une violation de l'article 10 de la Conv. EDH en des termes nets et précis qui composent un véritable hymne au journalisme d'investigation (I). Il restera à vérifier si, dans son enthousiasme, elle n'a pas en même temps prononcé un requiem pour la présomption d'innocence (II).
[...] Grisés par le statut fiscal relativement favorable dont ils bénéficient en France, ils ne voient aucun paradoxe à ce que l'on n'admette plus aucun secret, à part . celui de leurs sources d'information. Dans le même ordre d'idée, on relèvera avec beaucoup de tristesse que les requérants, dont l'ouvrage s'affranchissait si allégrement du devoir de respecter le droit à la présomption d'innocence des autres, ont eu la pittoresque indécence d'invoquer à leur profit . l'article de la Conv. EDH qui le garantit. [...]
[...] De l'extrême relativité des «devoirs et responsabilités» des journalistes d'investigation Même si la Cour européenne des Droits de l'Homme n'hésite plus, aujourd'hui, à étendre à d'autres qu'aux journalistes la protection privilégiée accordée à la liberté d'expression des chiens de garde de la démocratie elle n'oublie pas pour autant qu'ils sont les premiers à avoir mérité cette qualification d'excellence. Il est d'ailleurs particulièrement précieux qu'elle s'en souvienne au moment où se multiplient de troublants et tragiques assassinats de journalistes dans les pays membres du Conseil de l'Europe : Anna Politkovskaïa à Moscou le 7 octobre 2006, Hrant Dink à Istanbul le 19 janvier 2007. [...]
[...] En effet, le directeur adjoint du cabinet du président de la République qui est un des personnages clefs des Oreilles du Président n'est pas un homme politique stricto sensu. La Cour européenne n'a pourtant pas hésité à lui ouvrir les portes de cette catégorie de tous les dangers médiatiques en observant qu'il présentait néanmoins toutes les caractéristiques d'un homme public influent, évidemment impliqué dans la vie politique au plus haut niveau de l'exécutif. Il faut croire que les rédacteurs de l'arrêt ont marqué quelque hésitation à retenir cet argument puisqu'ils ne se sont permis de désigner homme politique en cause que sous ses initiales G. [...]
[...] Une des originalités de l'arrêt Dupuis est d'avoir appliqué les principes dégagés par l'arrêt Lingens dans un cas où le but légitime invoqué pour justifier la condamnation pénale des journalistes était de garantir le respect du droit d'une personne toujours présumée innocente et la bonne administration de la justice, droits dont les individus jouissent à titre de plaideurs en général qui ont été raccordés à la protection de la réputation et des droits d'autrui par l'arrêt Ernst Belgique du 15 juillet 2003. C'est donc vers le sacrifice de leur droit à la présomption d'innocence garanti par l'article de la Conv. EDH que la Cour de Strasbourg a précipité les hommes politiques. Pour y parvenir, il lui a fallu commencer par élargir le concept homme politique au sens de l'article 10 de la Conv. [...]
[...] A défaut de stricte délimitation du champ des investigations qui peuvent justifier l'attribution aux journalistes d'un si grand privilège, la jurisprudence Dupuis est, en réalité, une jurisprudence effrayante car elle dépouille, au nom de la démocratie, l'individu faible et isolé dont le nom peut être cité à la va- vite dans n'importe quelle affaire à connotation pénale, de toute garantie conventionnelle face au risque de lynchage médiatique. Les journalistes sont, pour le plus grand progrès de la démocratie, des enfants turbulents. Il n'est pas tout à fait certain que la démocratie ait beaucoup à gagner à encourager certains d'entre eux, qui ne sont pas forcément les plus enclins à exercer leur profession au péril de leur vie, à se comporter comme des enfants gâtés. [...]
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