« Le domaine public n'est plus seulement un objet de la police administrative ; c'est l'assiette d'un nombre toujours croissant de services d'intérêt général, et c'est un bien dont l'administration doit assurer, dans l'intérêt collectif, la meilleure exploitation », écrivait M. Chenot, le commissaire du gouvernement dans ses conclusions sur l'affaire Compagnie maritime de l'Afrique orientale (Conseil d'État, 5 mai 1944), traduisant ainsi clairement la prise de conscience de la formidable extension du domaine public sous l'influence des services publics, avant même que ceux-ci ne soient érigé en critère fonctionnel du domaine public. Malgré cette prise de conscience isolée de la diversité de la domanialité, l'article 538 du Code civil, dont l'esprit à été repris en 1957 par l'article l2 du Code du domaine de l'État, définissait négativement le domaine public comme comprenant des biens insusceptibles de propriété privé, omettant ainsi de rendre compte de la diversité et de la complexité croissante du droit du domaine. C'est pourquoi ce code ne servira pas de référence aux praticiens, et c'et également pourquoi l'opportunité d'un tel code peut, a posteriori, être remise en cause.
C'est parce que ces lois générales deviennent de plus en plus inapplicables aux situations pratiques et au contentieux du droit du domaine que des lois spéciales d'abord, que la jurisprudence ensuite et que le Code général de la propriété des personnes publiques enfin, se sont attachés à palier les insuffisances conceptuelles de ces lois désuètes. C'est cette évolution qu'il convient d'étudier, en tentant notamment de comprendre les tergiversations de la jurisprudence, les propositions de la doctrine et les timides interventions législatives en la matière. Actuellement, la domanialité publique comprend des biens qui sont, par nature, la propriété des personnes publiques (mers, plans d'eau…), ainsi que tous les biens propriété d'une personne publique et affectés à l'utilité générale. Cette définition s'est forgée au fil d'une évolution qu'il faut étudier. Précisément, l'étude des causes d'extension de la domanialité publique au cours du XXe siècle, à laquelle nous invite le sujet permettra, au-delà des évolutions techniques qu'il est indispensable de retracer, de comprendre l'évolution des missions des personnes publiques en France, l'évolution de la mission administrative et l'émergence de nouvelles exigences qui s'attachent aux domaines publiques, comme la valorisation qui doit cohabiter avec la protection. Cette étude des causes de l'extension de la domanialité permettra également de saisir l'importance d'un code général de la propriété des personnes publiques, en vigueur depuis le 1er juillet 2006 et institué par ordonnance du 21 avril 2006, car il faudra pointer les insuffisances du droit du domaine et les interrogations qui subsistent encore après l'adoption de ce code. Mais la domanialité publique, telle qu'on la connaît aujourd'hui, est le fruit d'une évolution commencée bien avant le XXe siècle.
En parallèle à la reconquête progressive des monarques sur le pouvoir féodal, qui a eu lieu grâce à diverses stratégies d'alliance et de guerre, les rois d'une France en perpétuelle extension bénéficient, depuis le XIIe siècle, d'un pouvoir de plus en plus étendu. Alors qu'à l'époque des Carolingiens aucune distinction n'était faite entre les biens qui seraient propres du chef et les biens d'une hypothétique nation, peu à peu les légistes d'Ancien Régime mettent en place le concept de domaine de la couronne, évoquée dans le XIVe siècle par Jean de Terre Vermeille. Ce principe est repris par François Ier par exemple, qui évoque déjà l'inaliénabilité du domaine de la couronne, comme le fait l'Édit de Moulin de 1566 qui, à certains égards et notamment pour le domaine public fluvial, demeure du droit positif. La Révolution française de 1789 substitue au domaine de la couronne le domaine de la nation, en vue d'éviter les dérives d'Ancien Régime consistant notamment, pour les monarques, à invoquer l'inaliénabilité des biens de la couronne pour soustraire des biens de guerre. Le domaine de la nation devait aussi être inaliénable et imprescriptible, il devait n'appartenir à personne, ce que rend bien le Code civil de 1804 dans son article 538. Au XIXe siècle, à l'instigation de Victor Proudhon, la distinction entre domaine public et domaine privé apparaît, et les régimes juridiques se forgent peu à peu sur cette désormais suma divisio.
Restait le XXe siècle, avec la question d'une éventuelle propriété des personnes publiques sur leur domaine public. Il s'agit de nous interroger sur le rôle de la décentralisation et des services publics notamment, deux notions clés du droit domanial et de son évolution. Quelles sont donc les causes - aussi bien législatives, jurisprudentielles que pratiques - et les incidences de cette extension sur le périmètre de la domanialité publique ?
C'est l'évolution du critère organique (I) et celle du critère fonctionnel d'utilité générale (II) qui sont au cœur de l'extension de la domanialité publique et de la volonté affichée et actuelle de la restreindre.
[...] La reconnaissance de ce droit de propriété, tant par l'ordre judiciaire (1934 pour la Cour de cassation) qu'administratif, tant pour le domaine privé que public, permet l'amorce de l'extension de la domanialité publique, puisqu'elle autorise la valorisation dudit domaine, en l'espèce l'exploitation du charbon dans la rade d'Alger dans l'arrêt Piccioli précité. Mais cette reconnaissance était incomplète, puisque la décentralisation, commencée dès la fin du XIXe siècle et qui a connu un essor considérable dans les années 1970-2000, devait amener la jurisprudence à reconnaître le droit de propriété des collectivités territoriales sur leur domaine public. Ce fut chose faite notamment par l'arrêt Société lyonnaise des eaux rendu en 1965 par le Conseil d'État. [...]
[...] Les ouvrages de doctrine Maurice Hauriou, Précis de droit administratif édition de 1933 Marcel Waline, les mutations domaniales Duguit, traité de droit constitutionnel Jeze, contribution à l'étude du domaine Enfin le rapport de la commission de réforme du Code civil, publié en 1947. IV. [...]
[...] Le Code général de la propriété des personnes publiques, ou CG3P, grave dans le marbre de sa partie législative cette reconnaissance du droit de propriété des établissements publics sur leur domaine public dans son article L.1. Il s'agit d'une consécration explicite d'un acquis jurisprudentiel. Par ailleurs, le code dispose, en son article L.2 qu'il s'applique aux biens et aux droits appartenant aux autres établissements publics (GIP ou Banque de France par exemple), dans les conditions des textes qui les régissent. [...]
[...] C'est pourquoi, dès 1986 et le rapport de Mme Latournerie, conseillère d'État, l'on a évoqué une réforme pertinente et en profondeur du droit du domaine, réforme intervenue en 2006 avec le Code général de la propriété des personnes publiques, qui laisse pourtant nombre de questions ouvertes, malgré les réelles avancées qu'il contient et que nous avons étudié. Reste à savoir si le juge préfèrera interpréter souplement ces restrictions pour maintenir l'unité du régime applicable, ou s'il ira jusqu'à scinder le régime des biens en une part de domaine public et une autre de domaine privé pour remplir pleinement l'objectif des codificateurs, au détriment de la sécurité juridique et de l'intelligibilité de la norme. [...]
[...] L'évolution de la domanialité au XXe siècle et jusqu'au nouveau code de la propriété des personnes publiques Le domaine public n'est plus seulement un objet de la police administrative ; c'est l'assiette d'un nombre toujours croissant de services d'intérêt général, et c'est un bien dont l'administration doit assurer, dans l'intérêt collectif, la meilleure exploitation écrivait M. Chenot, le commissaire du gouvernement dans ses conclusions sur l'affaire Compagnie maritime de l'Afrique orientale (Conseil d'État mai 1944), traduisant ainsi clairement la prise de conscience de la formidable extension du domaine public sous l'influence des services publics, avant même que ceux-ci ne soient érigé en critère fonctionnel du domaine public. [...]
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