"Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir" explique en 1748 Charles-Louis de Secondat, Baron de la Brède et de Montesquieu (1669 - 1755) dans son ouvrage majeur intitulé De l'Esprit des lois. Penseur fondamental de l'esprit constitutionnel et démocratique français, dont l'héritage philosophique est encore présent à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, Montesquieu est l'auteur de la célèbre théorie de la séparation des pouvoirs. Dans un siècle qui se veut modéré mais qui est encore emprunt d'absolutisme, où commencent à apparaître les prémices des théories des Lumières, le moraliste bordelais s'attache à donner un fondement intellectuel à un équilibre des pouvoirs qu'on n'ose encore revendiquer. La révolution anglaise de 1688 apparaît alors comme le premier pas vers un mouvement intellectuel de remise en question de l'autorité royale déséquilibrée.
Ce partage des pouvoirs, et cet équilibre étaient déjà largement réalisés, lorsque Montesquieu vint, pendant 2 années (1729 - 1731), étudier sur place les institutions anglaises. De ses observations, il fut amené à extraire une théorie générale, qu'il rapporta en France et qu'il expose dans le plus fameux des chapitres de De l'Esprit des Lois, le chapitre VI du livre XI intitulé "De la Constitution anglaise". Les premiers paragraphes constituent ainsi la théorisation la plus claire, bien que fortement complétée par la suite, de la séparation des pouvoirs, dans la mesure où il distingue de manière précise et novatrice, les trois pouvoirs qui constituent la puissance de l'Etat, et qu'il convient de séparer pour garantir la liberté politique des citoyens. Le rayonnement de ses idées politiques est présent dans la quasi-totalité des constitutions démocratiques depuis la Constitution américaine de 1787. Mais quelle est la signification réelle de la séparation des pouvoirs ? Quels sont ses fondements et qu'implique-t-elle dans la formation des Etats démocratiques ?
L'apport de la théorie de Montesquieu est à la fois théorique et pratique (I), mais participe surtout d'une protection nécessaire de la liberté politique des citoyens (II) (...)
[...] Aujourd'hui, la possibilité de censurer la loi modifie profondément le rôle de l'autorité judiciaire. Enfin, Charles Eisenmann a dénoncé une véritable mystification de la séparation des pouvoirs dans le paragraphe sur la Constitution anglaise, qui s'étend au-delà du passage étudié, dans la mesure où, contrairement à l'imaginaire collectif, Montesquieu ne prônait absolument pas une séparation stricte des pouvoirs, mais laissait bien la place à des empiètements nombreux entre les sphères propres des trois pouvoirs. Ainsi, il n'y aurait pas de séparation des pouvoirs chez Montesquieu, mais plutôt une théorie de combinaison de pouvoirs. [...]
[...] Il faut en effet comprendre que ce que recherche l'auteur est un l'équilibre le plus viable des pouvoirs en rejetant derechef toute combinaisons malheureuse. Le paragraphe suivant insiste sur l'alliance du pouvoir judiciaire avec n'importe quel autre pouvoir, et les effets dévastateurs de cette rencontre. Le penseur que : si [la puissance judiciaire] était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur De fait, Montesquieu rappelle ici en filigrane la pratique des lettres de cachet de Louis XIV, qui punissaient arbitrairement n'importe quel citoyen. [...]
[...] Le penseur avait ainsi caractérisé trois pouvoirs : la délibération, la justice et le commandement. Ces pouvoirs correspondaient alors à l'organisation politique de la cité de l'époque : l'assemblée générale avait pour rôle de délibérer sur les affaires importantes, les tribunaux rendaient la justice et les magistrats détenaient le pouvoir de commander. Pour autant, si Aristote discerne avec ingéniosité les différents pouvoirs au sein de la cité, il ne se pose nullement la question de leur agencement. Comme le souligne Carré de Malberg : [Aristote] ne voit pas d'obstacle à ce que, dans le même temps, la même personne fasse partie de l'assemblée délibérante, exerce une magistrature et siège au tribunal Ainsi, si Montesquieu a pu apprécier la méthode utilisée par Aristote, et saluer l'initiative du penseur grec, il n'a pu s'aider de cette distinction trop différente de son siècle. [...]
[...] Ainsi, comme tend à le rappeler Carré de Malberg : Montesquieu envisage un état idéal, et érige un principe destiné à chaque état En effet, bien qu'il titre son passage De la Constitution Anglaise il convient de rappeler que ses considérations dépassent largement ce que proposait cette fameuse constitution. L'auteur le souligne en filigrane dès la première phrase en utilisant un terme générique : dans chaque état Ce camouflage de la pensée pionnière de Montesquieu rappelle le contexte d'un absolutisme en perte de vitesse, et d'une Europe encore fermement monarchiste. Ce n'est donc pas la Constitution anglaise qu'il faut voir dans ce passage mais bien une Constitution idéale. [...]
[...] Il y a de ce fait un rejet profond du despotisme chez Montesquieu, qu'il soit personnifié par une personne royale (monarchie absolue), ou bien par la noblesse (aristocratie), un groupe d'individus (oligarchie) ou encore le peuple (régime d'assemblée) à qui, dans la lignée de Rivarol, Montesquieu ne peut accorder sa confiance. L'homme étant ontologiquement orienté vers le franchissement des limites de toute chose, il est naturellement enclin à abuser de tout pouvoir qu'il lui soit donné d'user. Fort de ce constat, Montesquieu va s'attacher à établir les conséquences qu'auraient certaines combinaisons du pouvoir sur la sauvegarde de la liberté politique des citoyens. [...]
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