Au XIXième siècle, il est impossible de vivre sans avoir à contracter selon des formes imposées. Alors que quelques siècles plus tôt, la quasi-totalité des contrats était formée par simple consentement oral entre des contractants le plus souvent analphabètes, ce consensualisme, c'est-à-dire la doctrine prônant quel a formation d'un contrat advienne dès la rencontre des consentements, n'est aujourd'hui plus de mise. Que ce soit pour signer un contrat de travail, pour louer un logement ou pour emprunter de l'argent, il est nécessaire d'avoir une certaine connaissance des formes rendues obligatoires par la loi afin de former le contrat.
Le consensualisme, qui doit s'analyser comme une liberté de la forme plutôt que comme une absence de forme, puisque la formation d'un contrat (à part quelques exceptions) nécessite un acte positif, est en perte de vitesse. Le courant dominant est le courant prônant un formalisme, que le juriste Jacques Flour définit comme « l'exigence d'une forme déterminée par la loi et à défaut de laquelle la manifestation de volonté se trouve frappée d'inefficacité à un degré quelconque ».
Jacques Flour note, dans son article de 1950, que le législateur a tendance à impulser dans le droit des contrats, après une longue période d'absence de formalisme, de nombreuses obligations relatives à la forme des contrats, tandis que la jurisprudence se rattacherait plus au consensualisme, en consacrant le respect des consentements sans considération pour les formes imposées. Cette affirmation audacieuse nous incite à nous questionner sur l'orientation que prend le droit des contrats, sur la véracité de l'analyse de Jacques Flour et notamment les évolutions constatées depuis l'affirmation de Jacques Flour, il y a un demi-siècle : le droit français des contrats a-t-il définitivement évolué en faveur du formalisme ?
Comme l'avait compris Jacques Flour, le législateur français s'est orienté sur la voie du formalisme, après avoir renoncé au principe du consensualisme (I). L' évolution de la jurisprudence a été plus fluctuante quant à l'alternative entre consensualisme et formalisme (II).
[...] Jacques Flour, Quelques remarques sur l'évolution du formalisme, Mélanges Ripert, LGDJ B. Nuytten & L. Lesage, Formation des contrats : regards sur les notions de consensualisme et de formalisme, Répertoire du notariat Defrénois avril 1998, nº8. Denis Mazeaud, Le contrat, liberté contractuelle et sécurité juridique, Rapport de synthèse présenté au congrès des notaires, Répertoire du notariat Defrénois octobre 1998, nº 19. Jean-Luc Aubert, Le formalisme, rapport de synthèse, Rapport de synthèse présenté au congrès des notaires, Répertoire du notariat Defrénois août 2000, nº 15-16. [...]
[...] A l'inverse, la nécessité de constituer un écrit permet de sacraliser l'engagement : personne ne signe de manière distraite, sans avoir le sentiment de se lier par contrat. Le doyen Flour avait bien compris cette lacune du consensualisme, qui est la principale raison pour laquelle le législateur se détourne de cette doctrine : la nécessité de préconstituer une preuve attire l'attention des parties et les oblige à préciser la portée de leur engagement Parfois c'est la remise d'une chose qui fait que le contractant a vraiment conscience de contracter car jusqu'au moment où il remet la chose il n'est pas sûr de donner son consentement : c'est la théorie des contrats réels. [...]
[...] S'impose alors progressivement un dogme de l'autonomie de la volonté qui favorise le consensualisme au détriment des formes : la forme du contrat est libre. Le consensualisme possède deux avantages qui sont ceux principalement mis en avant par les tenants de cette doctrine sa moralité (toute personne qui donne son consentement se retrouve liée par un contrat et ne peut se réfugier derrière l'irrespect de certaines formes) et sa simplicité (la liberté de la forme permet de conclure un contrat le plus rapidement possible à la suite de la rencontre d'une offre et d'une demande, sans qu'il soit besoin d'un matériel particulier, de connaissances juridiques particulières, etc.). [...]
[...] Dans la seconde partie de son aphorisme, Flour note que la jurisprudence s'oppose à ce formalisme. Cette affirmation, bien que juste dans une certaine mesure, doit aujourd'hui être relativisée. II) La jurisprudence fluctuante L'attachement de la jurisprudence au respect du consentement donné L'analyse de Flour repose sur une opposition de tendance entre le législateur formaliste et la jurisprudence consensualiste. Le juge doit appliquer la loi mais dans les faits, le formalisme peut résulter en une injustice car la nullité du contrat pour des questions de forme vient d'une inattention, d'une imprécision, d'une méconnaissance des contractants. [...]
[...] Mais la jurisprudence ne se contente pas de se plier au formalisme de la loi. Elle vient aussi accentuer le formalisme de la loi, voire même initier des éléments de formalisme avant que ceux-ci soient, le plus souvent, repris par le législateur. La jurisprudence manifeste en cela sa volonté de protéger les contractants potentiellement faibles. Elle n'est plus attachée au dogme de l'autonomie de la volonté comme elle l'avait été au temps de Jacques Flour, mais elle se range au contraire derrière la bannière du formalisme de protection auquel le législateur s'est rallié depuis quelques décennies. [...]
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