L'article 1384 alinéa 1er dispose qu'« on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ». Cet article consacre le principe général de responsabilité du fait des choses, en vertu duquel le gardien de la chose est obligé de réparer le dommage causé par celle-ci. Ce principe a jurisprudentiellement été reconnu dans l'arrêt Jand'heur (Ch. réunies, 13 février 1930, Jand'heur).
De ce principe de responsabilité du fait des choses découle la notion de la garde de la chose. Premièrement, cette dernière est fondamentale car elle définit le champ d'application des choses auxquelles l'article 1384 alinéa 1er pourra s'appliquer. En effet, les choses sans gardien sont en marge de ce dernier article. Deuxièmement, la notion de la garde de la chose permet de déterminer la personne responsable du fait de la chose.
Concernant les personnes responsables du fait de la chose, deux hypothèses sont à émettre. Premier cas de figure, le gardien peut être individuel, unique. Il sera dans ce cas responsable en son propre nom, individuellement. Deuxième cas de figure, la garde de la chose peut-être commune. Dans ce cas, les cogardiens seront collectivement responsables in solidum.
C'est d'ailleurs avec cette difficulté de la communauté des gardiens de la chose qu'a été rendu l'arrêt du 13 janvier 2005 par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation. La difficulté apportée par la question de la garde commune est propre à chaque situation. Aujourd'hui, la jurisprudence lutte pour tenter d'en dégager une solution simple. Cependant, les complications dans l'interprétation persistent : « Alors que la jurisprudence semblait inscrire la notion dans une position de recul, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation vient replacer la garde commune de la chose instrument du dommage au cœur de la responsabilité civile en matière sportive » notait le Professeur Etienne Cornut.
En effet, lors d'un match de football amical de jeu de sixte, l'un des joueurs fut grièvement blessé à la suite d'un choc, contre sa tête, du ballon frappé du pied par le gardien de but adverse. Devenue hémiplégique, la victime engage la responsabilité personnelle et celle du fait des choses du gardien de but et de la ligue régionale de football, en présence de la Caisse primaire d'assurance maladie.
Dans un arrêt confirmatif du 15 janvier 2003, la Cour d'appel d'Angers déboute la victime de toutes ses demandes. Par conséquent, les demandeurs forment conjointement deux pourvois.
Selon eux, le dégagement du gardien de but, de par sa violence et en raison des caractéristiques du jeu de sixte, constituait une faute civile alors même qu'aucune faute aux règles du jeu ne pouvait être apportée. De plus, ils estiment que le gardien de but, lors du dégagement à l'origine du dommage, avait seul les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle du ballon. Enfin, ils considèrent que la théorie de l'acceptation des risques ne peut exonérer le gardien dans la mesure où, d'une part, le dommage s'est produit à l'occasion d'une rencontre purement amicale, et non lors d'une compétition, et que, d'autre part, le risque subi par la victime n'était, eu égard à sa gravité, ni prévisible ni normal.
La Cour de cassation s'interrogea afin de savoir si le gardien de but était ou non momentanément gardien de la chose à titre individuel et s'il pouvait éventuellement être exonéré en application de la théorie de l'acceptation des risques.
Ainsi, dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation rejette les pourvois. En premier lieu, elle s'exonère de soulever l'hypothèse de la prétendue impossible acceptation des risques dans la mesure où cet argument s'avérait « inopérant » dès lorsque la Cour d'appel a justement constaté « qu'au cours du jeu collectif comme le football, qu'il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l'usage du ballon mais nul n'en a individuellement le contrôle et la direction ». De plus, la Cour de cassation rejette le moyen fondé sur la responsabilité personnelle du gardien de but, dès lors que celui-ci, par son dégagement, n'a « commis aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu ».
Tel en fut le cas dans cet arrêt de 2005, la solution de la garde commune de la chose entraîne à elle seule toute une série d'interrogation. Ainsi, il conviendra de se demander plus particulièrement dans quelles mesures la garde commune de la chose peut-elle être invoquée, quels en sont ses approfondissements, ses effets et ses limites.
Il conviendra alors d'aborder la réfutation par la Cour de cassation du moyen fondé sur la responsabilité du gardien de la chose à titre individuel (I) avant d'ouvrir le débat sur la notion de la garde commune de la chose (II).
[...] In extenso, la généralité de la notion de garde commune qui en découle est contestable. Elle devrait donc être remise en cause au profit d'une approche beaucoup plus casuistique de cette notion, plus à même d'ouvrir de manière cohérente droit à réparation. Cependant, une telle approche, bien qu'elle soit fort souhaitable, n'aurait pas modifié le dispositif en l'espèce. Il en vient donc de se pencher sur les limites de l'usage collectif de la chose avant d'aborder le nécessaire et subtil resserrement de la notion Les limites de l'usage collectif de la chose Comme l'exprime très clairement l'arrêt de 2005, la condition pour que la garde soit commune repose sur le fait que les utilisateurs de la chose disposent vraiment en commun des pouvoirs qui caractérisent la garde, de façon qu'il soit impossible sans arbitraire d'isoler un gardien unique En effet, il est clair que lors d'une rencontre, la garde commune sera majoritairement retenue au regard de la longueur temporelle de l'action active et collective. [...]
[...] 3ème octobre 1971). Notons, de plus, que cette dérogation à la notion de la garde commune de la chose ne se retrouve pas uniquement dans le football. En effet, cette première fut rencontrée en basket (Civ. 2ème février 1979) et en tennis (Civ. 2ème mars 2002). Cependant, prise dans sa généralité, la notion de garde commune reste contestable. [...]
[...] La notion de garde commune produit des effets différents selon le contexte dans lequel elle est invoquée. Elle peut, tout d'abord, permettre d'engager la responsabilité in solidum des différents gardiens, accroissant ainsi ses chances d'indemnisation. Mais la garde commune peut également priver la victime de son droit à des dommages et intérêts lorsque celle-ci est déclarée cogardienne de la chose à l'origine de la survenance du dommage. En effet, la garde commune de la chose exclut, dans les rapports entre cogardiens, la responsabilité prévue à l'article 1384 alinéas 1ers du Code civil, celle-ci n'ayant d'effet que pour les tiers. [...]
[...] Mais plus particulièrement, le resserrement de la notion de la garde en commun s'explique par le fait que dans certaines phases de jeu, le rôle de l'un des sportifs peut se distinguer de celui des autres, si bien qu'il acquiert momentanément un pouvoir d'usage, de contrôle et de direction indépendant. Ainsi, la Cour de cassation considère que la notion de garde commune de la chose instrument du dommage peut être écartée lorsqu'il apparaît que l'un des participants dispose d'une maîtrise effective de la chose ou même seulement d'un pouvoir prépondérant sur celle-ci (Civ. 2ème décembre 1980). L'intérêt de ce resserrement de la notion de garde commune dans son particularisme repose dans le passage d'une responsabilité collective à une responsabilité individuelle. [...]
[...] La Cour de cassation, face à un tel dilemme, corrigea le tir dans les années 1940. Ainsi, dans un arrêt Franck contre Connot, en Chambres réunies, du 2 décembre 1941, elle décida que le propriétaire d'un véhicule (qui lui avait été volé et qui avait causé un dommage) avait perdu son statut de gardien de la chose instrument du dommage en considérant que cette personne avait été privée de l'usage, de la direction et du contrôle de la chose. La Cour, en définissant que la garde de la chose impliquait nécessairement un pouvoir d'usage de contrôle et de direction de la chose, formata alors ses jugements à travers une appréciation purement matérielle de la notion de la garde de la chose, appréciation conservée jusqu'à aujourd'hui. [...]
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