S'interroger sur les rapports entre Antigone et la loi revient à puiser à l'une de ces deux sources, l'antiquité romaine et l'histoire grecque - en l'occurrence le théâtre grec- , qui sont à notre culture politique ce que le labourage et la pâturage était à la France de Sully, pour illustrer ou résumer l'opposition entre droit positif et droit naturel. Cette contradiction entre le nomos, le droit de la cité posée par l'autorité, et une norme supérieure préexistante informelle, est, en effet, le ressort de la tragédie éponyme de Sophocle, qui voit Antigone transgresser l'interdit posé par Créon, roi de Thèbes, car elle le juge illégitime. En l'espèce, l'héroine se fonde sur la « volonté des immortels » pour enterrer son frère Polynice, interdit d'inhumation pour avoir pris les armes contre Thèbes, se rendant ainsi traître à sa cité.
[...] Les totalitarismes du 20ème siècle ont redonné une acuité nouvelle au droit naturel et à sa possible opposition au droit positif, légitimant la transgression d'une Antigone résistante mise en scène par Anouilh. Je devais obéir aux règles et à mon drapeau : ces propos, prononcés, avant d'être pendu, par celui qui incarne, pour Hannah Arendt, la banalité du mal, illustrent, en effet, les dangers de l'obéissance absolue au droit et légitime la transgression de la loi. L'obéissance à la loi s'est ainsi progressivement accommodée d'un droit à la résistance donc à la transgression c'est ce que nous verrons en premier lieu. [...]
[...] L'iniquité du régime de Vichy, gouvernement légal, et la légitimité de la Résistance, mouvement illégal, provoquent la redécouverte d'un droit naturel, dans lequel Portalis voyait déjà la nécessaire boussole du droit positif, et l'institutionnalisation du droit de résistance. Ainsi, le droit au juge, en particulier au procès constitutionnel, est une forme de reconnaissance et d'institutionnalisation du droit de résistance. Si la Cour Suprême s'est érigée dès 1804 en protectrice des libertés fondamentales (CS Marbury vs Madison 1804), ce n'est seulement qu'en 1958 que s'impose le contrôle de constitutionnalité en France. Il faut, en outre attendre 1973 que le droit naturel, en l'espèce la DDHC, devient une norme contraignante pour le législateur. [...]
[...] Mais ces efforts ne peuvent occulter la nécessité non pas d'un droit, mais d'un devoir résiduel de résistance, celui-là même qui constitue l'ultime protection de nos droits fondamentaux et que consacrait déjà l'art 35 de la DDHC de 1793 : quand le gouvernement viole les droits des peuples, l'insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs Contrairement à l'exemple des Antigones modernes, ce n'est donc pas un simple droit subjectif auto proclamé qui justifie la transgression de la loi, mais la faillibilité intrinsèque des gouvernants. Sources Christian BEAUDET, Introduction générale et historique au droit, centre de publications universitaires, oct Nathalie PLOUCHARD, Pourquoi respecter la loi ? Emilie BECLE, La résistance peut-elle être un droit ? [...]
[...] La contradiction entre le droit positif et le droit naturel, entre la légitimité et la légalité, aboutit ainsi, au vu des errances de l'histoire, à la validation de la transgression de la loi au nom du droit de résistance à l'oppression. II) La banalisation du comportement d'Antigone appelle une relégitimation de la loi et un approfondissement de l'institutionnalisation du droit de résistance Aujourd'hui, se comporter comme Antigone semble être perçu favorablement par l'opinion. Jacques Ricaut, professeur en lettres supérieures à Nantes, met en avant le petit faucheur qui sommeille souvent en chaque citoyen, le maire qui s'affranchit de la loi républicaine pour marier des homosexuels, ou bien encore le joueur de football qui transgresse les règles du sport pour, d'un coup de tête adroit, défendre l'honneur de sa soeur. [...]
[...] Par rapport aux archaïques, qui, via des intermédiaires tels Moïse ou Romulus ou par le truchement de l'autorité des ancêtres, donnaient à la règle une dimension divine, la conceptualisation d'un droit naturel tiré de l'observation de la physis par les classiques n'a pas, contrairement à ce que pourrait laisser croire Antigone, justifié la transgression de la loi. Bien au contraire, l'homme, animal politique, ne peut vivre que dans la cité et dans l'ordre naturel qu'elle organise par le nomos, le droit positif étant constamment remodelé pour se conformer au droit naturel. [...]
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